Ninku
5.3
Ninku

Manga de Koji Kiriyama (1997)

Ninku, dans le paysage Shônen est, pourrait-on dire, une exception qui n’a cependant rien d’exceptionnel à mettre en avant. Ce titre est pareil à mille autres pour ce qui est de sa trame et ne fait pas le moindre effort pour sortir du lot. C’est peut-être ce qui, paradoxalement, fait sa force et dénote parmi les œuvres qui lui sont analogues.


La plupart des Shônens – je le sais à force de ne les avoir que trop éprouvés – cherchent à en faire énormément plutôt que d’en faire assez. C’est avoir les yeux plus gros que le ventre, pour les auteurs qui s’essayent à de fausses extravagances scénaristiques, que de seulement tenter de briller d’un éclat trop vif à partir d’une œuvre décidément trop terne. En l’état, un Shônen simple ; un Shônen qui s’en tient à ses canons, mais qui sait leur faire honneur, vaudra toujours bien mieux qu’une création faussement complexe et loupée en conséquence.


Faussement complexe, oui, à la mesure des ces Shônens – innombrables – qui, de leur chapeau, sur le tard seulement, nous noient sous les conjurations bancales, les révélations de dernière minute, entre autres flash-backs explicatifs revenant sur l’origine de tout et ça, sans parler de ces guerres finales aussi agitées qu’insignifiantes. Je pense qu’à l’aune de ces seuls traits d’intrigue présentement rapportés, bon nombre de lecteurs auront un, deux, si ce n’est mille Shônens qui leur viendront en tête à la lecture de ces seuls chefs d’inculpation. On pourrait tous les lister, de Bleach à L’Attaque des Titans en passant même par Full Metal Alchemist. Et pourtant, on en oublierait.


Ninku, de tout ça, de la démesure scénaristique surtout, nous en dispense pour notre plus grand plaisir. Plutôt que de faire dans le scénario alambiqué qui louvoierait et tortillerait du cul pour, de toute manière, atteindre une destination qui aurait été la même que s’il était allé en ligne droite, Koji Kiriyama fait au plus simple. Et, pour cette raison, on peut dire de lui qu’il fait au mieux.


Le présent Shônen a ça d’impressionnant qu’il vous gratifiera sans cesse d’intrigues que vous aurez déjà lues ailleurs – mais qui ici ont le mérite d’avoir été écrire en 1997, à une époque où elles n’étaient pas éculées à outrance – des intrigues que vous vous plairez néanmoins à redécouvrir sous un jour nouveau. Car à quoi tient l’éventuelle affection qu’un lecteur puisse porter à l’œuvre ? À son style graphique et rien qu’à ça. Un style qui, ne se contentant pas seulement d’être atypique, a le mérite d’être plaisant et même inspirant. Mais je vous parle là d’une inspiration dans laquelle trop peu d’auteurs viennent y tremper leur plume.

Bien évidemment, ninjas oblige, ce à quoi on ajoutera la substitution à la bûche tout azimut et un proto-Rasengan ; ce serait une parfaite bévue que de ne pas dire que Naruto est né de la cuisse de Ninku… avant de céder aux sirènes de la complexité d’apparat pour nous étrangler d’un scénario devenu noueux tout en trouvant pourtant le moyen d’être bien mal ficelé.


Qu’est-ce qu’il a donc, ce style, pour prévenir Ninku d’une immolation légitime eu égard à la pauvreté de sa trame ? Il a du caractère. Quand on ne s’habitue que trop à s’user le regard sur des styles qu’on pense avoir vus mille fois ailleurs, il est rare – et plus rare encore dans le milieu du Shônen – de se dire qu’un style graphique nous est étranger. Les visages laids sans être hideux qui parsèment le récit, les trames – graphiques cette fois – pour créer des effets d’ombrage, des designs épurés et pourtant si bruts ; tout ça interpelle. Naturellement, ça pourra ne pas plaire, mais ça a quelque chose de si unique qu’on ne peut que s’en pourlécher les prunelles.


Et ce dessin s’illustre divinement à toute occasion, et tout spécialement lorsqu’il sera question d’administrer des coups violents. Un style brutal qu’on sait inspiré du trait de Togashi dans la manière de rétribuer la violence. Je parle de ces coups dont l’incidence est rapportée sur le dessin comme une secousse ; comme un impact qui ferait vibrer le lecteur rien qu’en posant une main sur la page. Des plans magistraux spectaculaires de brutalité pour la seule finalité de mettre en valeur un coup sublimé par ses effets. Pour m’être quelque peu approfondi sur le style de Togashi ainsi que l’évolution de ce dernier, j’en viens même à penser que, par réverbération stylistique, la violence des coups portés dans Yu Yu Hakushô ont inspiré Ninku, comme ceux de Ninku, en perfectionnant ce style, a plus tard inspiré Hunter x Hunter.


Outre le dessin, les neuf tomes de Ninku s’en tiennent à une trame des plus classique, sans fioriture, où l’intrigue chemine droit sans se donner des airs ou se gargariser de prétentions. Savoir où est sa place, c’est aussi s’assurer de ne jamais outrepasser ses prérogatives. Ninku peut ne pas intéresser, mais il a le mérite insigne de ne pas lasser ; de rester constant sur la trajectoire du récit qu’il se sera imposé.


Les personnages, sans être écrits serrés, restent attachants bien que banals. C’est aussi ça le revers de la modestie scripturale ; à ne jamais chercher à trop en faire, on s’en tient à des variables forcément limitées. N’attendez rien de grandiose de Ninku, vous n’atteindrez jamais le moindre sommet en escaladant les volumes qui s’enchaînent. Vous serez cependant assuré qu’aucune chute ne vous attend au tournant. C’est assez rare pour être noté dans le milieu où, tout Shônen et bon nombre de Seinens aujourd’hui, semblent s’être fixés comme objectif de décliner jusqu’à s’effondrer. Cela, à supposer que l’œuvre en question ait seulement cherché à culminer à un quelconque sommet. Une gageure à laquelle peu d’auteurs s’astreignent dans ce milieu par les temps qui courent.


C’est limiter Ninku dans ses attributions que de dire qu’il a plus de forme que de fond, bien que ce soit indiscutable. L’univers de Ninku est aussi léger que son propos. Non pas léger comme peut l’être une tête vide, mais léger comme un état d’apesanteur. Au milieu d’une curieuse alchimie entre un contexte plus ou moins médiéval et le monde moderne, le scénario s’accomplit sans forcer. La marque de ce monde s'incrustera plus tard dans l'ADN de Naruto. Le mélange des genres, sans jamais être réellement approfondi, reste néanmoins savoureux dans le paysage. C’est assez original dans le principe, même si le principe ici ne s’en tient finalement qu’à l’apparence de ce monde plutôt qu’à ce dont ce dernier comporte de contenu tangible.


Malgré toute la bienveillance que je porte à l’œuvre, je me vois difficilement lui attribuer davantage qu’un 4/10. Après tout, je note Ninku en tant qu’œuvre et non pas en tant que Shônen, milieu éditorial dans lequel il dénote en comparaison de tout ce qui se fait depuis plus de vingt ans. Les combats, qui sont au centre de ce que conduit le récit, sont parfois trop longs pour ce qu’ils ont à faire valoir au point même d’être rébarbatifs. Et c’est à déplorer, car ils ne se perdent pourtant dans aucune des exagérations d’usage qui sont aujourd’hui coutumières dans le milieu.

D’un résumé lapidaire, on dira de Ninku qu’il n’est que bien peu de choses, mais que de ce peu de choses, l’auteur en aura tiré le meilleur parti. Koji Kiriyama, en s’adonnant à son œuvre, n’a pas pris beaucoup de risques, mais il a fait les choses correctement. Ce qui, aujourd’hui, tient purement et simplement du haut-fait dans le milieu.


Josselin-B
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le 2 févr. 2024

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Josselin Bigaut

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