Le lecteur ou la lectrice francophone qui passerait directement de L'Invasion de Taris, tome 4 de Star Wars : Chevaliers de l'Ancienne République, au tome 5 Sans Pitié! est bon(ne) pour une sacrée migraine. Deux-trois pages de lecture et il est évident qu'il s'est passé beaucoup de choses entre ces deux albums : nous avions laissé Zayne Carrick et ses amis sur Taris envahie par les Mandaloriens, pas tellement plus avancé dans sa quête d'innocence mais avec un nom mystérieux, "Krynda". Lorsque nous le retrouvons, non seulement Zayne semble savoir que Krynda est en réalité Krynda Draay, mère de Lucien et leader du "Pacte", mais il s'apprête à dévaliser un de leurs repaires secrets, d'après les informations laissées par une certaine "Celeste". Hein ? Qui ? Que ? Quoi ? Mais que s'est-il passé entre-temps ? Existerait-il un tome 4,5 secret, un peu comme l'album numéro 13 de Gaston Lagaffe ?


Presque. Cet intermède se nomme en réalité Star Wars : Vector, tome un. Pour faire bref : Vector était un concept ambitieux de crossover entre les quatre séries comics SW de l'époque : LCDLAR, Dark Times, Rébellion et Legacy, centré autour d'un Seigneur Sith immortel, Karness Muur, dont le talisman magique est à l'origine de la création des rakhgouls, les zombies du jeu KOTOR. "Celeste" est quant à elle Celeste Morne, jeune jedi chargée par le Pacte d'éliminer Zayne, mais qui sacrifia sa mission pour s'enfermer dans un sarcophage avec le talisman et donc Muur. Enfin, c'est ce que je crois... j'ai lu cet album une fois il y a très longtemps, les dessins étaient proprement hideux, donc tout cela reste assez vague dans mon esprit...


Toujours est-il que ce tome 5 de LCDLAR, Sans Pitié!, repose sur des événements qui ne font même pas partie de la série à proprement parler... c'est pour le moins perturbant, mais bon, maintenant qu'on connaît le préambule, autant continuer sans trop se poser de questions. Hélas, ma bonne volonté en prend un coup lorsque je constate que Bong Dazo est de retour au dessin. Il ne s'est pas vraiment amélioré, son trait est toujours aussi boursouflé mais au moins ce qu'on lui fait faire est un peu moins bordélique que dans l'album précédent... un peu.


C'est moi ou le niveau d'écriture de John Jackson Miller en prend un coup chaque fois qu'il collabore avec Dazo ? Le point de départ de ce premier chapitre est quand même assez bancal, non ? Pourquoi Zayne pense-t-il que rapporter des reliques sith au Conseil des Jedi va-t-il particulièrement embarrasser le Pacte ? Pourquoi son existence-même n'est-elle pas suffisante à jeter sur le doute sur les accusations de Lucien ?


Enfin bref, nous voici donc sur Odryn, planète natale des Feeorins, race de Feln, l'un des Maîtres du Pacte. Feln appréhende Zayne et Gryph avant qu'ils ne quittent la planète avec les reliques mais les Feeorins exigent que le Jedi, qu'ils considèrent comme leur leader sans pour autant le tenir en haute estime, affronte ses prisonniers en combat singulier. Nous avons donc une séquence amusante où Zayne joue au chat et à la souris avec le colosse, jusqu'à ce que Feln, un peu gratuitement, détruise la cache des reliques, anéantissant les efforts du malheureux fugitif. Manque de chance, l'explosion est si forte qu'elle incinère le village des Feeorins, lesquels se vengent en massacrant Feln. La vision de la Lune Rogue continue de se concrétiser, un deuxième maître a rejoint Raana Tey dans la tombe.


On croit Zayne Carrick toujours aussi peu avancé, lorsqu'il s'avère, deus ex machina, que les frères Moomo ont mis quelques-unes des reliques de côté, dans l'espoir d'en tirer profit. L'espoir est donc sauf, en route pour Coruscant ! Cela donne lieu à un chapitre particulièrement inutile, dessiné par un bouche-trou nommé Alan Robinson, dans lequel le vaisseau de Zayne et compagnie doit forcer le blocus de la flotte républicaine autour de la capitale, ce auquel ils parviennent avec l'aide de Carth Onasi. Mais à l'arrivée, Zayne et Gryph sont arrêtés par Xamar, le troisième Maître du Pacte, et c'est là que Sans Pitié! devient vraiment intéressant.


Pour commencer, Brian Ching, qui en a enfin fini avec The Force Unleashed, revient au dessin pour ce chapitre ô combien important, toujours assisté de Michael Atiyeh dont les couleurs sont plus sublimes que jamais. Ensuite, maître Xamar est le plus intéressant membre du Pacte. Son pragmatisme et ses manières calmes l'ont plusieurs fois mis en porte-à-faux avec l'impétueux Lucien. Son design est également très cool, avec ses tentacules faciaux, son sabre-laser et son costume d'inspirations japonaises, et sa manière de prononcer les "sss". Bref, il est donc logique que si un des maîtres devait retourner sa veste, ce soit lui.


Xamar admet donc ses torts au Conseil des Jedi, en l'échange de l'immunité pour Krynda. Il emmène ensuite Zayne et Gryph au Domaine Draay, mais il s'agit d'une ruse pour créer la confusion et permettre aux Jedi Gardiens (les guerriers au service du Conseil) de pénétrer l'enceinte et d'arrêter Lucien et les dissidents. Mais LCDLAR ne serait pas LCDLAR si le plan brillamment concocté par Gryph fonctionnait comme prévu.


En effet, Haazen a tout compris du stratagème imaginé par le Snivvien. Qui ça ? Souvenez-vous : le cyborg intendant du domaine Draay, et le véritable chef du Pacte en l'absence de Krynda, qu'il disait "en méditation" chaque fois que son fils demandait à la voir. Haazen met les Jedi Consulaires sur le branle-bas de combat lorsqu'il apprend que Xamar les a trahi, mais il s'avère bien vite qu'il se moque du Pacte. En fait, il se moque des Jedi comme des Sith, et c'est ce qui en fait un méchant plus original et intéressant que la moyenne, et permet à ce twist-là de réussir, contrairement à celui des Exorgoths de Au Coeur de la Peur.


Un flashback (malheureusement dessiné par Dazo) nous apprend que Haazen était jadis la troisième roue du carrosse formé par Barrison et Krynda Draay, les parents de Lucien. Secrètement amoureux de Krynda et jaloux du beau et talentueux Barrison, Haazen, padawan raté et moqué ("Vous devriez vous entendre" lance Lucien, goguenard, à Zayne) lui tendit un piège qui se retourna contre lui : l'explosion d'un pont saboté tua certes le bellâtre, mais défigura le traître et le priva de ses jambes. En plus de ses prothèses, cependant, Haazen se vit attriber "Le Joug des Apparences", un sortilège sith lui permettant de cacher ses intentions dans la Force. Ce qui allait s'avérer fort utile lorsqu'il décida qu'il en avait assez des luttes entre Côtés clair et obscurs de la Force, et qu'il tracerait sa propre destinée.


"Jedi et Sith, toujours en équilibre, toujours rivaux... et toujours au service de ma volonté. Car je suis les deux : je suis Haazen, loyal serviteur du Pacte jedi de Krynda ! Si je devais prendre un nom comme les Sith de jadis, ce serait Dark Nebul, pour les nuées de duplicité que j'ai créées." Le cyborg ne s'arrête pas en si bon chemin puisqu'il rebaptise son ex-apprenti Lucien... Dark Sion, créant au passage beaucoup de confusion, puisque JJM a plus tard confirmé que Lucien et le Dark Sion de KOTOR 2, Seigneur Sith insensible à la douleur, n'étaient pas la même personne. Alors pourquoi, surtout lorsque Lucien se nomme lui-même "Seigneur de la Douleur" à la fin de l'album ? Il est possible que Lucasfilm ait demandé à JJM de faire marche arrière parce qu'ils avaient d'autres plans pour le personnage de Sion (KOTOR 3 ?) ou parce que le scénariste lui-même a plus tard décidé de faire autre chose avec Lucien, mais ce ne sont que des théories de ma part.


Une autre référence à KOTOR 2 est beaucoup plus subtile et appréciable, selon moi : les similarités philosophiques entre Haazen/Dark Nebul et Kreia/Dark Traya, le premier étant en quelque sorte un précurseur un peu brouillon et puéril de la seconde. Tous deux cherchent à s'affranchir du clivage Jedi/Sith, bien qu'Haazen/Nebul laisse le côté obscur l'envahir par pure égocentrisme et pour satisfaire ses désirs de revanche, tandis que Kreia/Traya saura rester fidèle à son idéal jusqu'au bout dans le jeu vidéo.


Dans l'immédiat, Haazen entreprend de purger l'Ordre Jedi : le piratage des ordinateurs de la flotte républicaine lui permet de faire feu sur les envahisseurs du domaine, tuant Xamar et des dizaines de Gardiens au passage. Zayne ordonne à Gryph d'aller chercher Krynda, qu'il pense être la seule capable de stopper ce merdier. Hélas, la vénérable voyante n'est pas au mieux de sa forme lorsque le Snivvien la trouve : enfermée et torturée par Haazen, elle succombe quelques instants plus tard dans les bras de son fils. "Affronte l'avenir avec humilité", lui demande-t-elle en rendant son dernier souffle.


Mais Lucien ne l'entend pas. Dévoré par le Côté Obscur, il s'apprête à défouler sa haine sur le pauvre Gryph, lorsque Zayne l'en empêche. Lame jaune contre lame rouge, leur duel est fantastique, Ching ayant fait de gros progrès dans ce registre depuis Clone Wars. Mais tout cela ne mène à rien, comme le Zayne à son ancien maître, dans l'espoir de lui faire entendre raison : "Tuez Gryph, tuez-moi, tuez tout le monde ! Devenez Dark je ne sais quoi ! Soyez le pantin d'un autre ! C'est tout ce que vous avez fait de votre vie, c'est ce que vous faites le mieux !" Ai-je précisé à quel point j'adore Zayne ?


Ses sages paroles font mouche, car en combinant leurs efforts, maître et apprenti parviennent à se jouer de Haazen en retournant son gantelet de commande des vaisseaux républicains contre lui. Lucien projette Zayne et Gryph hors du domaine familial avant d'ordonner à la flotte de faire feu sur celui-ci et de le réduire en poussière. C'en est fini du court règne de Dark Nebul, mais comme je l'ai dit, son héritage spirituel n'est pas perdu...


Au final, tout est bien qui finit bien : l'innocence de Zayne Carrick est reconnue par le Conseil des Jedi, qui lui accorde le rang de chevalier. Mais le jeune Jedi atypique n'a pas l'intention de renier sa personnalité pour autant : "Ils [le Conseil] sont si occupés par leurs gros soucis que les gens sans importance passent à la trappe, et ça ne va pas s'arranger. Ce n'est pas pour ça que j'ai voulu être Jedi". Je l'adore, ce petit ! Il décide donc de suivre son ami Gryph dans ses aventures, en compagnie de Jarael bien entendu...


L'album, et l'arc du "Fugitif", se termine sur un trio de planches sublimes où Ching nous montre Lucien, bien vivant mais les yeux et les mains brûlés par l'explosion de son palais natal, fonder une nouvelle colonie de voyants jedi sur une petite lune reculée, dans ce qui semble être le système Mustafar. "Enfin, je peux voir mon avenir", déclare-t-il, physiquement aveuglé mais spirituellement illuminé. Au passage, l'un de ses disciples ressemble furieusement à l'excentrique Jolee Bindo du jeu KOTOR, ce qui étant donné la vie incroyable qu'a connu ce dernier, ne serait pas si surprenant !


Sans Pitié! termine de belle manière le récit amorcé dans Il y a bien longtemps..., bien que de manière un peu précipitée, contraintes éditoriales obligent. Il aura fallu quatre albums pour tuer le premier Maître du Pacte, mais les trois autres passent de vie à trépas dans ce tome 5, ce qui en dit long sur sa frénésie ! La mort de Q'anilia, qui se suicide sans qu'on comprenne vraiment pourquoi ni comment, est particulièrement bâclée et regrettable.


Ce final n'atteint donc pas, selon moi, les sommets d'émotion du duel contre Raana Tey dans l'album précédent. Situer la bataille finale dans le Domaine Draay sur Coruscant est certes logique, mais Taris aurait selon moi été plus approprié, étant donné la connexion sentimentale de Zayne à l'endroit - de même que le combat contre Adasca aurait dû impliquer les activistes scions sur Arkania, John Jackson Miller a peut-être encore manqué une occasion. Mais dans l'ensemble, cela reste très satisfaisant, notamment au niveau visuel, Ching et Atiyeh étant alors au sommet de leur art... du moins le croyais-je, car ils n'ont pas fini de me surprendre !

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le 21 janv. 2020

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Szalinowski

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