Dans la ville du péché, le Diable est roi
Sin City est une sorte de Graal absolu pour le lecteur de BD. Un joyau étincelant produit par le très controversé Franck Miller. En 1991, Miller sent son style limité chez Marvel et DC. Après une décennie où le jeune prodige du comics a changé à jamais la donne, Miller veut créer une histoire dont il serait entièrement libre. Une histoire qui se déroulerait dans un univers sale, qui sent bon la violence, la bière, les femmes et le sang.
Depuis ses débuts en 1980 sur Daredevil, Miller a donné une place de choix à la violence. Place qu'il a ensuite remis à Batman via le grandiose Year One et le très controversé The Dark Knight Return (1986). Sin City est son petit bijou personnel, puisqu'il entend assumer toute cette ambiance de film noir, plus que la revendiquer c'est la mettre en scène qui l'intéresse.
Pour autant, ne nous trompons pas, on retrouve les fameuses controverses à la Miller. La violence, horrible, est justifiée si on a certaines causes justes. De plus, le héro, Marv, apparaît comme n'étant pas si méchant que ça puisqu'il refuse de frapper les femmes (mais bon, ça l'empêche pas de laisser un loup manger un type, de tuer des dizaines de personnes, etc.). La Violence à la Miller, avec un grand V.
Corruption, meurtre, religion bafouée, prostituée en héroïne et tueur en série, tel est le programme de ce premier tome de Sin City.
Marv', une armoire à glace à tendance légèrement psychopathe passe une nuit de rêve avec Goldie, une femme d'une beauté incroyable. Marv' ne comprend pas pourquoi une personne de ce niveau s'est abaissée vers lui. Vivant la vie pleinement et après La nuit, Marv' ne comprend pas non plus pourquoi elle est morte, dans son lit, sans qu'il n'ait rien entendu. Une chose est sure, c'est que la police le pense coupable.
Comprenant que Goldie savait que sa vie était en danger, il décide de « rembourser sa dette » et de la venger. Retrouver l'assassin devient sa priorité, et il annonce la couleur : ça ne serait pas silencieux et rapide, mais bruyant et sale, à sa manière. Marv' n'a cependant aucune idée de ce dans quoi il s'est foutu.
Sur ce thème, on ne parlera guère. Miller offre évidemment une histoire pas forcément très novatrice. Quelques raccourcis scénaristiques seront même regrettables. Et de manière globale il y a cette fameuse justification de la violence à la Miller qui fera vomir plus d'un humaniste.
On appréciera, avec surprise, cependant, le traitement offert à la peur de la mort. Marv' n'est pas un héro, il le sait. Il a peur de mourir, il en est terrorisé, et pourtant, il prend ce risque. Il a un traitement, surprenant, vraiment, mais intéressant de ce côté. Marv' n'affiche pas sa peur devant les autres, mais le lecteur a le droit de découvrir toute la faiblesse de cette montagne de muscle, une faiblesse qui, étrangement, ne sonne pas du tout stéréotypée.
Mais là où Sin City est vraiment surprenant, là où c'est révolutionnaire, c'est au niveau graphique. Tout en noir et blanc, Miller montre un talent insoupçonné jusque là. Son découpage cinématographique, ces prises de vues audacieuses, cette capacité à maîtriser un univers avec seulement des aplats de noir … Quel talent ! La scène de la pluie, l'arrestation par les prostitué, l'exécution du tueur en série, le final, tout est grandiose dans cette BD.
Si plus d'une fois, le lecteur maudira les répliques, particulièrement ridicules de Marv', on vénérera le talent de Miller. Visuellement, Sin City est une claque comme peu de BD parviennent à réaliser. Les protagonistes sont immédiatement reconnaissable et même séduisant. Le côté dur et froid est parfaitement rendu mais en même temps les nuances sont multiples. Miller prouve tout son génie de la création et sa grande maîtrise des espaces. Sin City est une sorte de Bible quant à la question du placement de la vue dans une scène. On sent, encore une fois, l'influence du cinéma sur Miller.
Je pense que sur ces bonnes paroles, je peux arrêter ma critique.
Tout simplement parce que la force de cette BD c'est son graphisme. Un graphisme d'une puissance rare, novateur au possible, peut-être le plus fort du neuvième art. En parler des heures ne servirait à rien, car on en dirait rien, réellement. De la même manière qu'on peut tenter d'expliquer le fond d'un Picasso, il y a un moment où la forme, pure, tend à s'imposer au spectateur. C'est le cas ici, ça dépasse l'entendement et Sin City s'impose à son lecteur.
Changeant la donne à tout jamais, Miller a su rénover dans les années 80 la notion de moralité dans le comics, quitte à amener des exagérations dont il est devenu la propre caricature. Mais sur la question graphique, Sin City est une révolution comme on en a que peu dans un média. Un must-have absolu pour cela.
PS : Si je ne met pas 10, c'est vraiment à cause de l'histoire, qui bien qu'agréable est limitée. Si le fond me dérange au niveau moral, je pense que même en passant outre, on a pas une œuvre dont le fond est digne de la forme.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.