Notre histoire commence il y a plus de quinze ans, dans la contrée enchantée de la Nouvelle York. Richard Burlew, sympathique geek d'obédience rôliste dans la fin de sa vingtaine, contemplait ses choix de vie. Il avait des idées, une petite réputation online, et quelques contacts chez la prestigieuse compagnie Wizards. Pas mal d'opportunités, mais rien de concret. Comment faire pour attirer l'attention sur son travail ?
Il conçu quelques jeux de plateaux, participa un peu à l'enrichissement du lore de Donjon et Dragon, mais il fallait se rendre à l'évidence, sa carrière ne décollait pas et il commençait à se lasser de manger des pâtes tous les jours. Notre héros allait-il abandonner ses rêves et trainer sa dégaine de vendeur de BD simpsonien jusqu'à un travail de bureau ? Allait-il être condamné à partager des pauses cafés amères avec des zombies insipides jusqu'à la fin de ses jours ?
C'est là qu'il eut une idée. Une brillante idée. Pour attirer les gens vers son oeuvre, il allait leur présenter un amuse gueule en guise d’appât. Un petit comics hebdomadaire parodiant les absurdités du gameplay appliqués tels quels dans une quête épique. Rich avait certes des ornithorynques à la place des mains, mais qu'à cela ne tienne, il ferait des bonshommes bâtons et dirait que c'était un style.
L'affaire marcha du feu de dieu. Grâce à son humour et à une communication attentive, notre jeune créatif gagna en popularité, vendit ses projets et fit la joie de milliers de lecteurs à travers le monde. Lui même se prit au jeu, et commença à bricoler une petite histoire autour de ses personnages, leur donnant une quête, un antagoniste et un McGuffin. L'humour et le rythme se raffinaient, et Richard s'investissait de plus en plus, regrettant presque de n'avoir plus vraiment de raisons de continuer son webcomic. L'affrontement final et la fin de l'histoire approchaient, quand, une nuit, la Muse du Grisbi, Rochilde, vint se percher sur son épaule. Elle lui tint à peu près ce langage :


"-Déconne pas, Richie ! Tu vois bien que tes petits bâtons, ça fascine bien plus les gens que tes conneries de jeu de rôles. Tu les as ferré, mon grand ! Il ne te reste plus qu'à remonter la ligne pour leur piquer leur flouze !
-Mais de quoi parles tu donc, bonne fée ? répondit Richard, qui était parait il bourré, mais j'étais pas là, donc ça vaut ce que ça vaut.
- Des goodies, baby. Des éditions papiers d'un comics disponible gratuitement en ligne. Des chapitres bonus, des autocollants, des dédicaces, des T-Shirt, des appels aux dons, de tout un tas de conneries inutiles pour public désœuvré et trop gras. Crois moi, les pigeons raffolent de tous ces trucs là. Plus tu leur demande, plus ils se sentent artistiques. Continue sur ta lancée, fais un bon world building, creuse un peu tes personnages, remplace les bâtons par des nouilles dans dix ans, et le monde te mangera dans la main pour des centaines de strips futurs ! Tu pourrait inventer des scénarios de JDR dans ton temps libre, et faire de ton comics d'étudiant attardé ton gagne pain pour des années !
-Ciel, s'écria Richard (il était vraiment bourré), cela parait trop beau pour être vrai et légal !"


Mais après quelque recherches, il s'avéra qu'aucune loi de Dieu et des hommes ne s'y opposait. Transfiguré, il se prit la tête dans les mains. Quand il la redressa, ses yeux brillaient d'un éclat nouveaux.


"-Puisqu'il en est ainsi, je tondrai ces moutons de toute leur laine ! Mais il ne sera pas dit que je trahirais mon public en tournant purement mercantile ! Mon histoire deviendra complexe, je passerai de bêtes private jokes pour geeks endurci à une méticuleuse déconstruction des tropes de la fantasy ! Je travaillerai mes personnages pour qu'ils forment l'équipe la plus complémentaire depuis le dessin animé Justice League ! Mes héros seront attachants, drôles et profonds, du leader comiquement stoïque au hobbit sociopathe en passant par le barde débile. Mes méchants passeront par toutes les nuances de la vilenie, du maniaque génocidaire à l’extrémiste bien intentionné en passant par le dément égocentrique. Mon concept de genèse sera super bien pensé et adapté pour les jeux de rôle tout en étant une parodie. Les personnages évolueront, leurs relations aussi, et parfois ce sera carrément touchant ! Ce comics sera tellement progressiste qu'on croira qu'il a été écrit par une étudiante en sociologie lesbienne avec des crayons de couleurs ! Il y aura de la fauxlosophie, de l'aventure, ce sera drôle et épique ! Et quand je n'aurai pas d'inspiration, je ressortirai les vieilles références aux jeux de rôles pour qu'on puisse pas dire que c'était mieux avant ! Ce sera tellement bien que les gens ne se plaindront même pas de lire petit à petit la même histoire sur une quinzaine d'années. Je serai l'anti-George Martin ! Mouahahaha !
-Bien dit Richie ! Maintenant, reprend toi un coup de cidre ! dit Rochilde.


Et Richard Burlew, la Muse du Grisbi, son chat Sméagol et un facteur qui passait par là partirent ensemble d'un rire démoniaque.


C'est ici que notre histoire s'achève, bonne gens, et sa morale est la suivante : ne laissez jamais votre intégrité artistique se mettre en travers de votre poursuite de richesse. Car même à travers les miasmes de l'avidité, si votre coeur est pur et vos bâtons droits, vous pourrez malgré tout accoucher d'un putain de chef d'oeuvre.

Kevan
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 10 BD

Créée

le 30 mars 2018

Critique lue 208 fois

3 j'aime

Kevan

Écrit par

Critique lue 208 fois

3

D'autres avis sur The Order of the Stick

The Order of the Stick
NotQuiteDead
9

Critique de The Order of the Stick par NotQuiteDead

S'il est une chose amusante avec les processus de création quels qu'ils soient, c'est bien de constater comment ils s'arrangent parfois pour échapper à leur auteur et prendre des chemins tout à fait...

le 10 déc. 2013

3 j'aime

Du même critique

Neon Genesis Evangelion
Kevan
5

Vide et mirages

Evangelion, c'est nul. Evangelion, c'est bien. Ces deux critiques, certes un peu restreintes, sont exactes l'une comme l'autres. Rares sont les histoires à pouvoir se vanter d'une pareille...

le 4 sept. 2013

120 j'aime

19

Evangelion 3.0 : You Can (Not) Redo
Kevan
3

Vous êtes sûr qu'on ne peut pas le refaire ?

Evangelion a toujours tendu un bras vers le sublime. Un bras cassé, hésitant, aux mains sales, mais qui avait le mérite d'exister. Il est dommage de voir qu'au bout de ce bras, il n'y a plus qu'un...

le 21 déc. 2013

39 j'aime

4

The Future Diary
Kevan
6

Je me suis fait bien eu.

Mirai Nikki, c'est cool. Et ce malgré son scénario débile, ses personnages plus stéréotypés tu meurs, ses situations absurdes, ses enjeux bizarres, son héros insupportable, son nawak ambiant.....

le 3 avr. 2014

32 j'aime

10