2008 : Parution du Journal d'un ingénu d'Emile Bravo. Le succès est énorme ; l'album est unanimement plébiscité, dépassant même le cadre du lectorat traditionnel de la série-phare des éditions Dupuis. Il faut dire que, d'un côté, SPIROU & FANTASIO patine déjà pas mal depuis que Morvan & Munuera ont repris la série en 2004 et que, de l'autre, Bravo sait flatter la vanité du lecteur gavé de bons sentiments au quotidien et ne manquant jamais de clamer sa détestation du nazisme - et autre régime dictatorial - dès qu'il en a l'occasion (déjà à l'époque, Hitler, ses copains et leur croix gammée apparaissent à la télévision française environ une fois par jour depuis dix ans). Déclarer que Le Journal d'un ingénu est un chef-d’œuvre ou se balader avec l'album sous le bras permet ainsi de montrer à tous que l'on pense comme il faut. Et qu'importe si les personnages sont dénaturés (Fantasio est une ordure et Spirou, non pas un ingénu mais un imbécile) ou si Bravo nous explique discrètement - mais carrément - que la cause de la Seconde Guerre Mondiale n'a tenu en fait qu'au refus des Polonais de céder Gdansk aux Allemands. Ce n'est pas grave, Bravo peut tout dire et tout faire car aux yeux de Dupuis, c'est un bon vendeur et aux yeux du public, il offre un bel objet d'autosatisfaction vaniteuse. On ne va donc pas aller s'embêter à analyser trop à fond les thèses de l'auteur cachées sous les belles images et qu'on ne laisserait pourtant passer chez personne d'autre.


Beaucoup attendaient donc une suite au prétendu "chef-d’œuvre". C'est désormais chose faite, puisque cet automne sort le premier des quatre tomes regroupés sous le titre générique de L'ESPOIR MALGRE TOUT ; une somme qui paraîtra jusqu'en 2020*, monopolisant par la même occasion le marché des SPIROU VU PAR... durant cette période. On a intérêt à aimer Bravo et la Seconde Guerre Mondiale². Les lecteurs déjà acquis (aveuglément ?) au Bravo de 2008 apprécieront le nouvel album qui est dans la droite lignée de son illustre prédécesseur. Pour les autres, il y aura encore de sérieux motifs d'insatisfaction. A commencer par la représentation d'un Fantasio toujours aussi infect. Dans Le Journal d'un ingénu, celui-ci était déjà particulièrement antipathique, mais là, Bravo pousse le bouchon beaucoup plus loin : de plus en plus égoïste (en temps de disette, il ne laisse rien à manger à Spirou qui l'héberge ; il ôte la nourriture de la bouche d'une petite fille ; il n'a jamais d'attentions pour personne), malveillant (sans raison, il prend leur ballon à des gamins pour le balancer à un endroit où ils ne le récupéreront jamais), il brutalise des orphelins qui font la quête pour leur spectacle de marionnettes. Bref, Fantasio appartient plus au clan des Thénardier qu'à celui de Cosette. Et que dire de sa Collaboration latente ? Est-il seulement trop naïf ? On doute. Et ça, c'est censé être Fantasio ? LE Fantasio !?


Dans ce nouveau tome, c'est aussi Fantasio qui prend la place du candide de service. Mais l'effet comique recherché par Bravo, en faisant de lui tour-à-tour une ordure ou l'être le plus crédule du monde, ne fonctionne pas. Ce n'est jamais drôle. Le fait est qu'il reste détestable. Encore plus que dans Le Journal d'un ingénu. C'est bien simple, personne ne souhaiterait avoir un type aussi néfaste dans son entourage. D'ailleurs les passages dont il est absent sont les plus agréables (même s'il est remplacé par Lucien, un gamin dont la pauvre mentalité est presque aussi insupportable).
Ça profite néanmoins à Spirou qui, lui, a mûri depuis le premier album. Cela dit, si on lit cette première partie de L'ESPOIR MALGRE TOUT sans avoir préalablement relu Le Journal d'un ingénu, ce n'est pas bien grave, mais si on lit les deux à la suite, c'est plus gênant. En effet, Spirou, qui était systématiquement victime de tout le monde (raillé, moqué, exploité, battu par tous, même par les plus petits) quelques semaines auparavant est tout à coup beaucoup plus malin, plus fort et plus intelligent [L'ESPOIR MALGRE TOUT débute trois mois après la fin du Journal d'un ingénu]. Ce qui n'est pas forcément cohérent sur l'ensemble. Mais ça profite au nouvel album pris isolément et qui, du coup, devient plus lisible. Parce que le Spirou-Cosette du premier album était vraiment pénible. Cette fois, on le retrouve plus débrouillard et dégourdi, correspondant mieux à la nature originelle du personnage. Et c'est là le point positif majeur de ce tome 1.


Autrement, le récit est bien construit. On n'évite malheureusement pas l'aspect didactique parfois trop appuyé ("Dis Papa, c'est quoi un pogrom ?") mais, dans l'ensemble, ça passe. Le dessin de Bravo est toujours aussi bon, clair, simple et efficace mais la mise en couleur est toujours aussi terne et sinistre.
L'histoire aurait donc pu être vraiment réussie, mais elle est gâchée par le personnage de Fantasio que visiblement Bravo déteste. Notons toutefois que la version parue en album a été modifiée par rapport à la version prépubliée dans le Journal de Spirou. Ainsi, Fantasio ne travaille désormais plus pour un Moustique collabo, mais pour Le Soir (Le Moustique – journal qui appartenait à Dupuis – fut interdit par les Allemands durant la guerre, à l'instar du Journal de Spirou. Bravo, lui, en avait initialement fait un journal collabo. Rien que ça ! Avec l'accord de Dupuis, j'imagine. Mais tout de même. Pas sûr que les anciens du Moustique ou que les descendants de ceux qui y travaillaient à l'époque aient pris ça avec le sourire ; d'où la modification. Ce qui aurait été acceptable dans une uchronie, mais pas dans un récit comme celui-ci, présenté par l'auteur comme historique).


Au bout du compte, à l'issue de cette lecture, on est tiraillé entre la volonté de savoir comment vont se développer les péripéties qui attendent un Spirou beaucoup plus intéressant à suivre que dans Le Journal d'un ingénu - où il était plus pitoyable que touchant - et la détestation qu'on éprouve pour Fantasio, que l'auteur affuble de toutes les tares possibles. C'est bien simple, chez Bravo, Fantasio n'a AUCUNE qualité.
Du Spirou-Cosette, on est passé au Fantasio-Thénardier et, même si ce nouvel album n'est pas plus formidable que le premier, il est un peu plus lisible. Ça fera encore une fois planer à mille pieds les courageux qui aiment tant dénoncer les horreurs passées depuis quatre-vingts ans (ce qui ne coûte rien) plutôt que les actuelles (là on risque sa vie - cf. Charlie Hebdo). Mais pas forcément les autres.


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*: La première partie en octobre 2018, la deuxième en septembre 2019, les troisième et quatrième en avril et novembre 2020.


²: Le seul autre pseudo-SPIROU VU PAR... qui sortira dans la période (le 4 janvier 2019) sera Enigma d'Etien & Beka, centré sur le personnage du comte de Champignac et se déroulant... durant l'Occupation. Spirou & Fantasio n'apparaîtront pas dedans : https://www.senscritique.com/bd/Enigma_Champignac_tome_1/38099813

Muffinman
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le 22 juil. 2018

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