Une sœur
7.1
Une sœur

Roman graphique de Bastien Vivès (2017)

Je vis dans l'opulence. Non, j'exagère. Mais j'ai un job cette année. L'année passée aussi, mais c'était un peu moins d'un mi-temps. Cette années, j'ai 16/22 (je suis enseignant). Ce qui veut dire que je vais pouvoir recommencer à m'acheter un tas de choses inutiles. Comme je le faisais quand j'étais étudiant et dépendant de mes parents (car ils me filaient de l'argent de poche plus qu'il ne m'en fallait). Et ça fait du bien. Pour la première fois en 4 ans (même 7 car les dernières années chez mes parents, je ne dépensais plus grand chose, j'économisais étant donné que je peinais à trouver un job et que je voulais quitter le foyer familial mais bon, y avait moins de pression, forcément), je n'ai pas fait attention. Bon, j'avoue, il m'est arrivé d'acheter deux ou trois bricoles par pur caprice. Mais je me suis fortement limité. Par exemple, durant cette période de disette, je n'ai acheté que cinq DVD et ils étaient à 1€.


Quand j'ai appris que j'allais avoir un bon job cette année, j'me suis dit que ça tombait bien puisque je devrai me déplacer régulièrement (du moins je l'espère) pour vendre ma première BD. Et les déplacements, ça coûte. Puis ce jour-là, j'me suis offert une virée à la ville. Pour m'acheter un journal de classe. Sur place, j'ai décidé que j'allais ramener quelques pâtisseries ; j'ai suivi un p'tit régime durant les vacances mais rien de tel qu'un contrat bien payé pour foutre en l'air tout ce travail en quelques bouchées bien sucrées. Et puis, comme il y a une librairie BD dans la même galerie, j'ai décidé d'y faire un tour avec la ferme intention d'y acheter n'importe quoi.


Malheureusement, autant d'années de restrictions ne peuvent que laisser des séquelles : malgré toute ma bonne volonté, je n'en suis sorti qu'avec 3 BD pour un total de 45€ à peu près (et encore, j'ai oublié de préciser que j'étais prof, ce qui est con, car ça m'aurait valu 20% de remise dans ce magasin-là). Pour ma défense, faut savoir que je suis radin de nature (d'ailleurs le weekend passé, j'ai offert le repas du soir à un pote : une 'mitraillette' comme on appelle ça en Belgique, soit un snack coûtant 4.50€... mon pote a rigolé en disant que ce jour était à marquer !). Mais donc voilà, je pensais acheter plus. Et dans le lot de trois albums, il y avait (et il y a toujours) : "Une soeur".


Je ne suis pas fan de Bastien Vivès. J'ai essayé plusieurs albums et je voudrais en essayer d'autres ; je n'ai jamais vraiment été conquis mais je n'ai jamais voulu abandonner. Je reconnais facilement du talent, mais pour moi c'est surtout au niveau du graphisme. Il a de gros problèmes au niveau de la narration. J'ai donc acheté ce livre en me disant que j'allais ne pas aimer. Mais c'est pas grave. C'est ça qui est bien quand on est riche, on peut acheter des choses comme ça qu'on sait qu'on ne va pas aimer. Déjà parce que c'est une manière de soutenir l'artiste. Ensuite parce que, comme je l'ai écrit, je reconnais un talent graphique à l'auteur. Du coup, il me paraissait important d'avoir au moins une de ses BD sur mes étagères, moi qui suis auteur de BD. Ç'aurait pu être n'importe quelle autre, y avait d'ailleurs son roman graphique sur la danseuse que je n'ai pas encore lu, juste à côté de celui-ci. Mais comme son dernier est celui dont tout le monde parle en ce moment... et bien j'ai décidé de me laisser entraîner par le buzz.


Et j'ai bien fait. parce que j'ai bien apprécié. Je pense que le scénario est loin d'être parfait, comme d'habitude : manque d'objectif principal et structure chaotique rendent le récit difficile à apprécier pleinement. Mais ici, il se passe des choses. Il y a des conflits. Ce n'est pas purement contemplatif même si ce n'est pas ce qui m'horripile le plus dans son oeuvre (et en plus c'est parfois bien sympa ce contemplatif, contradictoirement parlant). Il y a aussi, hélas, des éléments abandonnés : je pense à cette famille de racaille que l'on croise au début et qui disparaîtra ou encore un manque d'approfondissement de cette héroïne qui ne sera jamais qu'un fantasme vivant, ou encore la relation aux ado qui lui tournent autour et dont la fin tragique permet de conclure un peu grossièrement l'album.


Mais surtout, il y a ces dialogues. Cela m'a fait penser à des films des années 80-90 sur l'adolescence : des gosses parlent de manière douce-amère. C'est touchant. Ici, ça manque un peu de couleurs, à savoir que personne ne rigole vraiment ici, ou alors quand ils rigolent on sent la volonté d'attendrir, ce n'est donc pas un rire qui se communique naturellement au lecteur. Et c'est dommage. Mais c'est chouette. Même si le ton m'a paru trop sérieux, trop tragique, j'ai pu me retrouver dans cet univers plein de fragilité.


À nouveau, c'est le graphisme qui m'a le plus plu. Même si on son trait ouvert (il ferme rarement ses dessins) est parfois moins lisible, il faut avouer qu'il gère super bien ses compo, ses attitudes, son équilibre. Ainsi, malgré les nombreux trous, les nombreux traits incomplets, cela reste globalement compréhensibles. Et les personnages sont toujours très expressifs. On sent que Vivès a fait de l'animation, il va à l'essentiel, ne s'encombre pas de détails superflus. Même son jeu de lumière n'est pensé que pour valoriser le dessin, faciliter la compréhension. Il y a aussi un travail d'ambiance très plaisant même si très discret.


Bref, j'ai apprécié ce livre. Je lui trouve pas mal de défauts narratifs, mais la lecture m'a paru agréable d'un bout à l'autre et mémorable grâce au graphisme. Ha, que c'est bon d'être riche.


Ceci étant dit je ne suis pas Crésus non plus. J'en parlais justement avec un ami il y a peu : c'est quoi le bonheur ? C'est être super riche ? Il m'a parlé de son pote super riche qui l'enviait car mon ami a acheté une moto qu'il a retapée pendant 5 ans et maintenant il peut enfin la conduire. Cela a pris autant de temps parce que, malgré son salaire régulier, ça coûte et il a des gosses à nourrir aussi. Du coup il a chiné les pièces pour les avoir à bas prix. Mais des pièces comme ça à bas prix ne se trouvent pas facilement. Et donc il a finalement terminé ces réparations. Son pote enviait son bonheur. Il a donc voulu avoir sa moto aussi. Sauf qu'il n'a pas compris que ce bonheur était dû au fait que ça lui a pris du temps, qu'il a dû se battre. Le chemin le plus long est souvent le plus riche. Le pote super riche lui, il a acheté sa moto flambant neuve directement, il n'y avait rien à retoucher. Du coup il s'est étonné de ne pas prendre autant de plaisir que mon ami.


J'ai alors répondu qu'au fond, je n'ai pas encore connu d'année malheureuse. Certes je n'ai jamais beaucoup gagné ma vie, mais j'ai eu assez pour me louer une maison avec ma compagne (dans une petite ville paumée, c'est vrai), j'ai de quoi manger, j'ai de quoi m'acheter du matériel pour dessiner, j'ai mon ordi pour choper des films, j'ai ma compagne évidemment, j'ai tous mes films achetés ou gravés quand j'étais étudiants, toutes mes BD, tous mes romans, ... j'ai tout ce qu'il me faut pour être heureux. Ce salaire que je vais percevoir cette année, il me permettra d'économiser, d'investir davantage dans ma BD pour la faire connaître, de m'acheter des petites choses inutiles. C'est pas grand chose, mais c'est beaucoup. Et au final j'ai pas spécialement envie d'avoir plus que ça en guise de salaire (ma compagne voudrait plus quand même, héhé).


Donc je crois que je peux dire que je suis heureux. Après tout, j'ai été publié, je fais mes p'tites BD dans mon coin, je regarde mes films, j'ai une petite vie sociale grâce à mon job, j'ai un toit, je mange à ma faim... ouais, je crois que je suis heureux. Bon je cache pas que je voudrais quand même un peu plus, genre que ma BD se vendent bien (pour l'instant c'est assez lamentable, mais en même temps personne me connaît) ou encore avoir une place dans une école supérieure dont le temps plein n'excède pas les 12h/semaine (je bosserais 4h de moins que maintenant pour un meilleur salaire et moins de boulot à préparer). Mais bon, ça viendra p'tet, ou pas. En tous cas, je suis content d'être là où j'en suis et c'est déjà bien.

Fatpooper
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le 5 sept. 2017

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