Après six albums consécutifs se déroulant durant la Seconde Guerre Mondiale (bon, d'accord, il y en avait un qui se passait pendant les années 30…), Romain Hugault décide courant 2011 d'élargir un peu son horizon. Toujours désireux d'explorer les parents pauvres de la BD d'aviation, son compère Yann lui propose donc de remonter dans le temps et de s'intéresser à… la Première Guerre Mondiale. Le jeune dessinateur ne se fait pas prier.


La Grande Guerre est en effet, entre autres innovations douteuses, le premier conflit à avoir introduit les avions comme outil de combat. Les débuts furent balbutiants, les appareils alors peu fiables et mal armés servaient essentiellement à la reconnaissance, et les chasseurs adverses tentaient de les abattre via le fusil de l'observateur. Mais le progrès technologique ne va hélas jamais aussi vite que lorsqu'il s'agit d'ôter la vie plutôt que de la sauver, aussi lorsque commence Valentine, premier tome de cette nouvelle série Le Pilote à l'Edelweiss, les chasseurs Albatros allemands et Nieuport français qui s'affrontent au-dessus du tristement célèbre Chemin des Dames n'ont guère à envier à leurs descendants de la prochaine guerre…


Encore une fois, Yann et Hugault excellent à rendre leurs affrontements esthétiquement sublimes sans rien cacher pour autant de leur horreur : dès la quatrième planche, un pilote abattu se tire une balle dans la tête pour ne pas brûler vif… ambiance !


Mais comme toujours avec ce duo magique, le ton reste assez léger, du moins de prime abord. Notre héros se nomme cette fois Henri Castillac, as de la chasse française, inspiré par deux de ses collègues historiques, Georges Guynemer pour son physique de jeune premier et Charles Nungesser pour sa personnalité sybarite.


Au premier coup d'œil, notre Henri est donc le pilote de chasse typique d'Hollywood et de la BD, un casse-cou coureur de jupons qui n'a froid aux yeux ni dans les airs ni au sol ("J'honore les femmes, j'enfile les boches", le programme est inscrit sur son avion !), mais comme pour Bjorn dans Mezek, les apparences sont trompeuses, car Henri semble cacher un lourd secret, qui pour l'heure empêche ce pilote accompli de se mesurer à l'as allemand Erik et son fameux appareil frappé d'un Edelweiss qui donne son titre à la série.


Pourquoi cet as sans peur et sans reproches se transforme-t-il en le dernier des lâches chaque fois qu'il se retrouve confronté à ce pilote allemand ? Le mystère reste entier, mais Yann fait preuve d'une grande expertise lorsqu'il s'agit de révéler çà et là des indices, ce qui rend l'histoire beaucoup plus prenante et intéressante qu'Au-delà des Nuages et Le Grand-Duc, qui malgré leur traitement moderne et efficace étaient des histoires de pilotes au fond assez classique. L'Edelweiss fonctionne presque comme un polar, à cet égard, ce qui n'est pas sans rappeler la grande époque de Biggles.


L'usage de flash-backs est particulièrement bien vu, nous transportant cette fois-ci dans le Paris de la grande crue de 1910, en nous faisant découvrir comment Henri et son frère jumeau Alphonse (car oui, il s'avère qu'il a un frère jumeau) ont fait la connaissance de la jolie Valentine, future femme d'Alphonse… retour en 1917, et le couple semble battre de l'aile, Valentine ne s'épanouissant guère au bras d'Alphonse qui est à l'opposé total de son jumeau : calme, timide, amateur de Sacha Guitry, peu entreprenant au lit là où Henri est un fêtard invétéré, habitué des Folies-Bergères et n'hésitant pas à passer la nuit avec deux de ses charmantes employées… plus important encore, nous apprenons qu'Alphonse était pilote lui aussi, mais qu'une bourde lui a valu d'être interdit de vol et rétrogradé dans un tank, tâche ingrate et bien moins prestigieuse.


Bref, c'est ce dynamisme qui fait toute la force du scénario de Yann. Et niveau dessin, comment son complice Hugault s'en sort-il avec les biplans de la Grande Guerre ? Sans surprises, tout aussi bien qu'avec les avions de la 2GM ! Les Nieuports, Albatros et autres Gothas de 14-18 sont certes moins racés que les Spitfires, Mustangs et Messerchmitts de 39-45, mais Hugault leur confère des couleurs et des prises de vue qui leur donnent énormément de caractère et de personnalité. Ses environnements sont particulièrement soignés, et les tranchées tellement bien retranscrites qu'on en viendrait à souhaiter qu'il nous signe une BD "terrienne" dans la lignée de Notre Mère la Guerre et de L'Ambulance 13 !


Seul hic de l'album, et cela restera une constante chez Yann : les dialogues souvent affligeants et pas drôles. La planche avec l'informateur belge est particulièrement pitoyable, on se croirait dans du mauvais Astérix !


Mais il n'empêche que Valentine est une excellente introduction à ce qui s'annonce comme la série la plus ambitieuse de Romain Hugault. Spoiler: ça va aller en s'améliorant !

Szalinowski
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le 12 févr. 2019

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