C'est peu dire que le plan d'Henri Castillac pour se soustraire au duel avec celui qu'il cherche encore et toujours à ne pas croiser, le pilote à l'Edelweiss, s'est retourné contre ses protagonistes : son frère jumeau Alphonse, qui se fait passer pour lui, est certes sorti vainqueur de son affrontement avec son adversaire allemand Erik, mais ce dernier n'est pas mort et brûle de se venger. Pire, en parlant de brûler : alors qu'il prenait la place d'Alphonse dans son tank St-Chamand le temps du duel aérien, un obus allemand est venu mettre le feu au véhicule durant un assaut, et voilà Henri défiguré à vie !
Plus l'album progresse, cependant, et plus cette horrible mutilation ressemble fort à du karma… et inversement, difficile de ne pas être désolé pour le gentil Alphonse, forcé de continuer à servir dans l'Escadrille des Cigognes pour ne pas révéler la supercherie, surtout lorsqu'il doit faire la nounou pour son propre beau-frère, un blanc-bec désireux de devenir le nouveau Fonck, ou encore lorsqu'il doit rendre les comptes de la lâcheté d'Henri face à un pilote français laissé pour mort et évadé des peu attrayantes geôles teutonnes. Les joueurs sont en place, et les derniers mystères mis en place par Yann au cours des deux premiers tomes vont enfin être résolus.
Comme précédemment, c'est en faisant appel aux flashbacks que le scénariste lève le voile sur les secrets de la fratrie Castillac, et notamment sur la fameuse Walburga qui donne son nom à ce dernier tome et semble au centre de tout l'édifice, alors que nous l'avons que peu vu jusqu'alors : infirmière dans l'armée allemande, elle est la maitresse du pilote à l'Edelweiss. Elle connait également les deux frères, pour avoir posé pour leur artiste de père avant-guerre. Une expérience qui aura fait son malheur et la fortune d'Henri, mais bien mal acquis ne profite jamais…
Je n'en dis pas plus pour ne pas spoiler, mais le renversement des rôles établis dans le premier tome et déjà malmenés dans le tome 2 est ici exécuté à la perfection et constitue le principal point fort de cet album, que je qualifierai de plus abouti de la collaboration Yann/Hugault. Le scénariste dépoussière pour de bon la BD d'aviation dans son ensemble et se joue de ses clichés habituels. Comme dans Mezek, les joli-cœurs et tueurs des airs ont désormais des comptes à rendre pour leur comportement.
Il n'y a pas que l'écriture qui est à son apogée, le dessin de Romain Hugault aussi n'a jamasi été aussi bon. Il est intéressant de noter que les scènes de combats aériens sont finalement moins omniprésentes que par le passé, bien que le duel final entre le Spad-Canon d'Alphonse et le Fokker D.VII d'Erik soit l'un des tous meilleurs que le jeune dessinateur ait composé. Le Pilote à l'Edelweiss est avant tout une aventure humaine, nous l'avons vu, et par chance RH dessine ses personnages mieux que jamais. Avec son grain de beauté sur la joue et son tatouage à l'épaule, Walburga est la plus belle femme de sa galerie pourtant bien fournie – pas seulement en raison de ses…"attributs", mais aussi par la personnalité, le caractère qu'elle dégage.
S'achevant en beauté, l'incursion du duo Yann/Hugault dans la Grande Guerre aura donc été une franche réussite, grâce à la symbiose en un script moderne et ambitieux du premier et le dessin en constante progression du deuxième. Comme Le Grand-Duc, je le recommande aux fanas d'aviation des deux guerres mondiales comme aux lecteurs plus avertis, mais encore plus chaudement !