Ah! Nana : capsule féminine de la BD des années 70

Ce numéro hors série de Métal Hurlant consacré au magazine Ah! Nana est une véritable capsule temporelle vers la fin des années 70, qui expose ce qu’était le milieu alternatif de la BD faite par des femmes à cette époque.

Une époque post-Mai 68, marquée par l’essor des mouvements féministes, mais où recruter une rédaction entière de femmes s’avérait presque impossible, tant elles étaient rares dans ce milieu, en France comme ailleurs. Hors Japon et États-Unis, on compte encore très peu d’autrices et aucune tradition structurée. Le rédacteur en chef de Métal Hurlant démarche donc des autrices de récits jeunesse comme Nicole Claveloux (qui travaillait alors pour Okapi) ou Chantal Montellier, tout juste sortie de ses études d’art et pas tant intéressée que ça, a priori, par la bande dessinée.

Le magazine alterne entre BDs d’époque et entretiens avec les contributrices, particulièrement instructifs pour comprendre et revivre le contexte. Montellier explique qu’elle avait honte de faire de la BD, encore considérée comme un art mineur dans le milieu artistique. Trina Robbins, déjà fondatrice des Wimmen’s Comix, apporte un regard américain et montre un premier dialogue entre artistes féminines issues de cultures différentes. Mais la plupart des participantes racontent avoir vécu le sexisme : manque de considération, objections sur les sujets, relégation aux récits jeunesse, aux fanzines ou au travail en collaboration avec leur mari.

Sur le plan graphique, c’est inégal : beaucoup débutaient, avec des styles figés, des narrations maladroites et un humour parfois daté. Montellier raconte aussi qu’elle effectuait des photos pour apprendre à dessiner les corps en mouvement. Reste des thèmes très intéressants à relire avec les lunettes du présent : avortement, règles, sexualité, homosexualité. Le dossier sur celle-ci provoqua l’interdiction du magazine aux mineurs, celui sur l’inceste (à la couverture particulièrement racoleuse et de mauvais goût) scella sa fin.

Passionnant pour ses interviews, sympathique pour ses BDs, datées dans le trait et hésitantes sur le ton, parfois gratuites dans la provocation, mais traversées de fulgurances : les récits sombres de Montellier, l’humour de Robbins, les compositions de cases très libres de Claveloux. À lire pour l’histoire, et parce que c’est l’un des rares témoignages de ce que c’était que de faire de la BD dans les années 70, en France, quand on est une femme.