Le jaune est une couleur chaude.
Il est venu le temps d'un Blacksad « mineur », semble-t-il, encore que les précédents albums, même s'ils étaient tous excellents, solides et dotés d'une très bonne facture d'ensemble (plans cinématographiques riches, champs et contre-champs, travail des ombres en clair-obscur, recherche intelligente d'une palette de couleurs kaléidoscopique) n'étaient pas de ces chef-d'oeuvres unanimes et populaires qui remportent l'adhésion des masses, car, malgré le classicisme des thèmes, aucun ne s'élevaient au-dessus des autres. Mais ce dernier opus, bien que globalement d'une qualité irréprochable, a ces petits quelques choses qui le mettent légèrement en deça de ses illustres et glorieux aînés.
Blacksad, ses moustaches fines, sa « barbichette » blanche et soyeuse, son flair, sa force, son élégance, son intelligence et sa clairvoyance, son goût des femmes, sa mélancolie, que dis-je la noirceur de son âme, et sa solitude. L'homme en noir broie du noir, courbe l'échine, et ici s'essaie à des préceptes de vie propres à Kerouac : prendre une voiture, filer à l'anglaise sur l'asphalte brulant, en improvisation free-jazz, et sentir la liberté fraîche et ventilée en plein sur le visage à en pleurer de bonheur, en allant le plus vite possible, au point d'abaisser sa garde, d'oublier de regarder autour de lui et de se faire voler son bolide par des beatnicks patibulaires au grand cœur.
Une histoire, une autre histoire, un passé qui ressurgit, une fraterie qui apparaît, et ...un cirque.
Le malaise de ce 5ème album de Guarnido est peut-être d'être composé d'un entrelacs d'affaires très diverses qui amène à cet étrange sentiment mêlé d'une douce langueur, rêveuse et nostalgique du temps où le héros matou était plus jeune, à une drôle de frustration gênante, tant les différents historiettes amorcées peinent à accrocher le lecteur, autant par leur manque de développement que par leurs durées respectives (très/trop courtes). Dommage, car il y avait du potentiel : un cirque en apparence respectable, empli de mensonges et de non-dits, aux méthodes peu catholiques. Il y avait fort à faire et les personnages qui composaient cette communauté d'artistes itinérants avaient tout simplement de la gueule. Leur truculence n'a, hélas, pas été exploitée plus que ça, les auteurs privilégiant les tribulations kafkaïennes d'un écrivain fragile et terriblement humain, mais sans ce souffle et cette puissance caractéristiques qui faisaient les aventures antérieures du félin charismatique, digne héritier d'un Bogart ...du neuvième art.
Après avoir reparlé et débattu de cet album de BD avec un pote, futur membre de Senscritique, j'ai reconsidéré ma critique bien trop acerbe, et surtout, j'ai retiré ce que je disais à propos des "approximations et flous"... non pas qu'ils ne soient pas présents dans cet album. La vérité est que ces petites imperfections faisaient déjà partie intégrante du monde de Blacksad, mais qu'on ne les voyait pas, ou qu'on se refusait à les voir : dans chaque album, on aperçoit en arrière-plan ces petits trucs imparfaits que je pointais du doigt, sauf que les albums précédents celui-ci se déroulaient dans une sorte de pénombre propre au film noir, ou présentaient beaucoup de scènes plongées dans une forme d'obscurité idéale qui ne laissaient pas la place aux erreurs... Et qu'avons-nous de nouveau dans cet "Almarillo"? De la lumière à pleine balle, un soleil à son zénith, des vrais feux de projecteurs qui illuminent tout, y compris ce qu'on ne veut pas voir ; une luminosité à ce point éclatante ainsi que la couleur dominante du jaune ne pouvaient que faire ressortir des choses qu'une pénombre masquait auparavant.
Un album - plus que - respectable.
+1...