Il est des légendes qui ne déçoivent pas. Ashita no Joe est de celles-là, mythe parmi les mythes de l’histoire du manga à être enfin publié en France. Il se disait de ce héros de papier né à la fin des années 60, gavroche en passe de devenir boxeur professionnel, qu’il avait su canaliser les frustrations d'un peuple japonais, écrasé à la fois par l’urbanisation violente que connaissait l’archipel sous tutelle américaine, par un exode rurale en retard et rattrapé à marche forcée, et par le déclin de l’identité et des valeurs nationales. En Joe, vagabond des bas-quartiers qui allait gravir les échelons de la gloire sportive avec abnégation et endurance, les exclus du nouveau Japon entrevirent un porte-drapeau de la révolte et de la résistance au pouvoir. Ashita no Joe, tel serait ainsi le cri de guerre scandé par le groupe terroriste d’extrême gauche de l’Armée Rouge Japonaise lors du célèbre détournement d’avion à destination de la Corée du nord en mars 1970. Quant à son rival estimé et ami, le puissant Rikiishi, sa mort accidentelle sur le ring face à Joe commanda des funérailles nationales, dirigées par le poète Shuji Terayama, et auxquelles assistèrent plus de 700 personnes habillées de noir, un brassard noir à l’épaule, des fleurs et de l’encens plein les bras.
Tant d’anecdotes et de racontars courent sur la place de ce personnage dans l’histoire culturelle japonaise qu’il tardait à l’occidental de découvrir ce héros de bande dessinée sans égal dans son pays. Or le mythe ne déçoit pas. Une trame vivante et faussement légère, un portrait de la société japonaise subtil à la manière d’un Félix le chat ou d’un Popeye, des visages poupons auxquels les marques de la vie ajoutent à l'espièglerie... Que de charme et d'énergie se dégagent dès les premières pages. Et de cette misère inondant les décors, une rage de vivre inexplicable surnage, comme un parfum d'insouciance qui ne se déparerait jamais d'honnêteté dès qu'il s'agit de dépeindre l'environnement dans sa gravité. En cela, Ashita no Joe échappe à son âge et son appel au combat trouve tout à fait résonance aujourd'hui. Voilà une ode d'une énergie pure, portée de surcroît par une adaptation française et une impression plus soignées qu’à l’accoutumé.

Critique de Stéphane Bapoum pour les Inrockuptibles
aaapoumbapoum
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le 21 juil. 2012

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