Une fiche de lecture pour débuter l'année.


Titre : Astérix aux jeux olympiques


Auteurs : René Goscinny et Albert Uderzo


1ère publication : « Pilote » n° 434, 15 février 1968
Publication album : 1968 Dargaud


Sources :

Lire hors série n° 1 p 51.
S. Farré « D'Ablusbégalix à Alambix : les métaphores de la collaboration durant les années Astérix (1959-1977) » Objectif Bulles pp 195-196 ;
N. Rouvière Astérix ou la parodie des identités pp


Album utilisé : Édition Hachette semblable à l'édition originale à l'exception de la couverture et du 4° de couverture.


L'image d'un urbanisme utopique.


P 5 1/1 : La case d'ouverture présente une vue aérienne du village gaulois qui apparaît plus comme un lieu de villégiature que comme un véritable espace de vie.
Les activités productives sont absentes, celles qui sont présenté s'assimilent à des loisirs :
– Sieste (3 personnages).
– Promenade des enfants.
– Arrosage d'un parterre de fleurs.
– Balayage et discutions.


L'image du village présenté s'organise le long d'un chemin qui serpente, chaque maison est précédée d'une pelouse de gazon. Les seules cultures visible sont de nature purement ornementale (parterre de fleur) image qui rappelle l'idéal des banlieues pavillonnaires qui réserve le devant des maisons des cultures d'apparences . Contrairement à des albums précédents qui faisait une large place aux activités agricoles.
– « La serpe d'or » (1960-61) fait apparaître en case d'ouverture un char à foin, un forgeron ferrant un cheval et un laboureur travaillant à l'intérieur de l'enceinte du village, on peut également noter l'existence d'un débit de boisson.
– « Astérix et les Goths » (1961-62), la case d'ouverture comporte un troupeau de vache qui traverse le village.


La suite de l'épisode confirme cette tendance les activités commerciales et artisanales habituelles à la série (commerce de poisson, forgeron) sont absentes. Les seules activités présentent s'assimilent aux loisirs.
– Cueillette de champignons (P5 2/1).
– Course à pied (P 15 4/1).
– Banquet en plein air (P 14, 15).
– Le chef Abraracourcix prend un bain (P 10).


L'ensemble de la population du village affiche une décontraction évoquant facilement les vacances.
– Le chef ne prend pas la peine de sortir de son bain pour recevoir le centurion romain.
– La chasse dans la forêt ressemble plus un loisir qu'à une quête de nourriture, la rencontre avec le champion romain Cornedurus est l'occasion d'interrompre la chasse pour satisfaire la curiosité.


La suite de l'aventure poursuite cette logique l'ensemble des hommes du village s'embarquent pour assister aux jeux olympiques.


Statut des femmes :
Cet essor des loisirs apparaît néanmoins inégalement réparti, les hommes font la sieste pendant que les femmes manient le balais (P5 1/1), Bonemine apparaît comme étant la domestique de son mari qu'elle sert pendant qu'il prend son bain. L'ensemble des hommes du village partent assister aux jeux olympiques tandis que les femmes restent au village avec les enfants et prévois de faire le ménage (P 18 2/1, 2) .
P18 2 /2 :
Bonemine : « Eh bien on en profitera pour nettoyer et mettre un peu d'ordre en attendant que ces braillards reviennent ! »


De même les femmes du village n'apparaissent pas lors des différents banquets, y compris le banquet final. Répartition sexuelles des rôles sociaux qui fait que les femmes traditionnellement dévolu aux tâches domestiques adoptent plus tardivement l'usage des loisirs , sans être encore remis en question la légitimité d'un tel état pose question, comme en témoigne la réplique de Bonemine.
P18 2 /1 :
Bonemine : « Ça c'est étrange ! J'ai tout à coup l'impression que cette histoire manque d'hommes... »
réplique qu'elle semble directement adresser au lecteur. Plus tard on remarque dans la file des spectateurs accédant au stade olympique une femme protestant contre la ségrégation sociale dont les femmes font l'objet.

P37 4/1 :
« Et c'est le grand jour ! Les spectateurs arrivent de tout le monde connu... Des spectateurs et non des spectatrices, car il est interdit aux femmes, d'assister aux Jeux Olympiques.
Spectatrice : Un jour, vous verrez ! Les femmes participeront aux jeux ! Et pas comme spectatrices !

Spectateur : C'est ça ! Et elles conduiront des chars ! »
Évocation parodique d'une réalité déjà partiellement dépassé mais qui évoque un passé suffisamment récent pour faire sens.


Vision des vacances.
Le voyage des hommes du village aux jeux olympiques apparaît comme une illustration de la mode du tourisme. Cette expédition est dépourvue de tout enjeu guerrier seul la quête du plaisir semble recherchée et le chef, Abraracourcix, se comporte comme un organisateur de vacances . Les voyageurs se déchargent de toute initiative qu'elle soit d'ordre matériel (ils s'en remettent à des organisateurs professionnels) où intellectuel ils visitent les lieux communs à tous les touristes.


**Évolution.**

L'expédition du village en Grèce présente une vision des vacances différente de celle présenté en 1963 dans « Le tour de Gaule », il ne s'agit plus de se contenter des simples plaisirs de la plage et du farniente, mais au contraire d'être actif et de se cultiver quand ils sont en Grèce, les gaulois visitent l'acropole (P. 25, 26), goutent à la gastronomie locale (P. 26 4/1) et fréquentent une auberge pratiquant des danses grecques (P. 27), même si la découverte de l'autre tourne court du fait de la tendance est de chaque fois ramener la découverte à du connu ou déjà vécu.
Les visites s'effectuent sur l'ordre de la comparaison que ce soit pour les monuments ou les pratiques culinaires.
– Deux gaulois comparent le Parthénon à des bâtiments de villes gauloises (P. 25 2/1).
– Obélix compare le repas grec à celui d'un restaurant routier qu'ils ont fréquenter au cours du « Tour de Gaule » (P.26 4/1).
Et du fait que la découverte s'effectue dans un cadre spécialement conçu par des professionnels pour des touristes. Il n'en demeurent pas moins que le voyage en Grèce présentent le modèle de vacances actives, où les vacanciers s'investissent.


**Les vacances comme nouveau rite social.** 

Le voyage, entre homme, est l'occasion d'abandonner les rituels sociaux et pour en créer de nouveaux :
– La croisière se conclut par une fête où chacun abandonne les normes du paraître habituel en portant un chapeau de fantaisie au milieu des confettis et cotillons.
– Le doyen Agecononix s'abandonne à sa lubricité.


Hypothèse.
La critique satirique des gaulois en voyage à dans un pays étranger, incapable de s'ouvrir aux autres tant ils recherchent sans cesse à établir un comparatif avec eux, peut apparaître comme la critique de l'éthnocentrisme européen que l'occultation de la décolonisation empêche.


Vision sociale.
La vision du village semble témoigner de l'évolution de la société au cours des années 60 qui se caractérise par l'essor des classes moyenne qui accède à un nouveau type de mode de vie directement inspiré du mode de vie bourgeois citadin.
Essor du bien être qui semble promis à tous à l'instar du village qui apparaît comme une société idéalisé égalitaire. A l'image des villages du club méditerranée qui prennent leur essor à l'époque l'aspect du village se présente comme un ensemble harmonieux où l'individualité de chacun peut s'épanouir sans avoir besoin d'ériger des barrière entre soi et les voisins. Le progrès permet à chacun d'accéder au confort et au bien être sans qu'il soit nécessaire de s'exclure des autres ni de procédé à son assujettissement, comme en témoigne l'absence de domestiques au sein de la communauté villageoise.


Le contraste est à cet égard flagrant avec une série plus ancienne comme Tintin où l'idéal du bonheur domestique s'incarne dans la reproduction d'une mode vie aristocratique caractérisé par l'oisiveté qui trouve son aboutissement dans le château de Moulinsart qui isole ses occupants du reste du monde et qui est fortement hiérarchisé (le capitaine Haddock fait fonction de châtelain et Nestor est à son service).


Le voyage en Grèce (voyage en bateau, visite d'Athènes, installation à Oympie) est l'occasion pour les auteurs de dresser la caricature des voyages touristiques et de l'attitude franchouillarde prêté aux français à l'étranger, tandis que le soin apporté à la restitution du décor trahit le soucis de la poursuite du projet éducatif.


Rapport à l'animal.
Le voyage touristique en Grèce s'accompagne d'un changement d'attitude vis à vis des sanglier de nourriture vivante il accède par étape au statut d'animal familier.


Ils sont accueillis comme des animaux de compagnie dans l'auberge athénienne de Plexiglas (P 24-25).
P24 4/2, 3 :
Plexiglas : « Vous serez très bien ici, par Zeus mais l'auberge est pleine. Il faudra vous mettre à plusieurs par chambre.
Abraracourcix : Et les sangliers ?
Plexiglas : Mais oui, vous pouvez les garder avec vous nous acceptons les petites bêtes dans l'auberge ! »


P 25 1/1:
« A l'exception des sangliers qui sont des animaux très délicats, tout le monde est fort satisfait du logement. »


Un sanglier accompagne ensuite le groupe lors de la visite de l'acropole (P 25 2/1).
Un certain interdit du sanglier comme nourriture apparaît lors d'un repas au restaurant (P 26 4/1).
P 26 4/1:
Agecanonix : « Ça ne vaut pas le sanglier !
Cétautomatix : J'en avais un, mais je l'ai laissé à la porte... il paraît qu'on ne peut pas apporter son manger ! »


rouge autour du cou (P 38, 39, 40, 46, 48).
Éléments qui illustrer un nouveau rapport entre l'homme et l'animal tandis que dans la vie quotidienne des années 60 la distance homme / animal s'accroit ce dernier cesse insensiblement d'être perçu comme une ressource alimentaire ou un instrument de travail pour devenir un animal de compagnie. Nouveau rapport à l'animal issu du monde des villes et qui au cours des années 60 se généralise dans l'ensemble de la société française. La campagne en proie à la fois à l'exode rural et à la modernisation se dés-animalise .


Mutation symbolique indice d'une nouvelle sensibilité.

La parodie de la chanson « on l'aime bien, Nini peau de chien » transformé en « A Lutèce on l'aime bien Nini peau d'sanglier » lors du gala d'adieu sur la galère (P21 3/2) installe une proximité entre le chien (animal domestique de compagnie) et le sanglier (animal sauvage destiné à devenir une nourriture). Assimilation qu'on retrouve de manière inversée dans l'épisode « Le devin » quand le devin faute de sanglier, dévoré par Obélix, propose de lire l'avenir dans Idéfix le chien d'Obélix. Ce qui provoque une violente réaction de la part d'Obélix. Opérant là une transgression vis à vis de la séparation entre l'animal nourriture et l'animal compagnon dont la consommation comporte un tabou en s'assimilant au cannibalisme.

La vision de l'espace, de la nature, et des animaux révèle l'émergence d'un nouveau modèle de sensibilité à travers laquelle l'homme en s'éloignant d'un contact direct avec la nature idéalise cette dernière et fait de l'animal un semblable par une démarche anthropomorphique.


Cette domestication du sanglier reste un exemple isolé dans la saga même si par la suite un rapport différent semble s'installer vis à vis de la nature, le travail agricole s'assimilant, semble-t-il à de l'archaïsme.

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le 17 janv. 2021

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