Le Papyrus de César faisait craindre que le duo Ferri & Conrad sombrerait dans les eaux du Toutnumérix.
Les noms des deux coureurs romains exceptés - Coronavirus et Bacilius - le nouvel opus est dépouillé du trop plein d'allusions à l'informatique et renoue avec la tradition astérixienne.


C'est un vrai plaisir de voir s'accumuler les jeux de mots - certes par moment un peu simplistes mais toujours propres à faire rire, sourire et surtout réfléchir sur le langage ! Petit florilège: " C'est quoi ce char?/ J'ai suivi mon impulsion", " Faites attention aux queues-de-poisson (dixit Ordralphabétix", "Avé Bifidus et sois actif !", "Tu seras l'aurige! / Et tu me co-aurigeras", "Je ne savais pas qu'on pouvait déplacer les bornes", "Amphoré !", "Nous sommes de simples esclaves de sa collection de Cimbres (...) [il] avait promis de nous affranchir", pour ne citer que ceux-ci. Il est dommage que, dans le même temps, on souffre d'un "on les a plantés grave", par exemple.


C'est aussi un plaisir de retrouver les différents peuples antiques et leurs noms sarcastiques: le Viking Zerogluten, les Lusitaniens Solilès & Pataquès, les Bretons Madmax et Ecotax, sans compter des peuples inédits tels que les belles Koushites inspirées des soeurs Williams Toutunafer & Niphéniafer ou les terribles Sarmates Ogouguimov et son acolyte. Il est cependant ennuyeux de découvrir pêle-mêle autant de peuples inédits, comme il est triste de songer que les Koushites résultent de la polémique de Lilian Thuram autour du personnage de Big Data dans le dernier album et d'un besoin des auteurs de présenter des excuses au politiquement correct ...
Sans compter l'excellente idée de la typographie en miroir des Sarmates qui a pour défaut de sa qualité sa difficulté de lecture aux yeux de certains.


Quel plaisir surtout d'aller chercher les caricatures dispersées çà et là parmi la foule des personnages !
Italie oblige, c'est au tour de Roberto Benigni (alias Detritus dans la première adaptation en film de la célèbre bande dessinée) et de Bud Spencer de se retrouver dans la peau de journalistes couvrant l'événement, de Luciano Pavarotti et Sophia Loren de jouer les serveurs d'auberges ou de Silvio Berlusconi de jouer les publicitaires véreux. Que dire de Léonard de Vinci campant son propre rôle et de Monica Bellucci, Cléopâtre s'imaginant dans la pose de la Joconde dans l'adaptation de Chabat, qui apparaît en viticultrice au service de Mona Lisa ?


Sans oublier Alain Prost dans le rôle tenu si longtemps secret !


On peut dire que, malgré leur qualité incontestable, comme dans certaines Aventures de Raoul Fracassin qui s'axent sur la caricature, toutes les caricatures ne sont pas bien évidentes. Ainsi, on aura du mal à reconnaître la belle Monica et certains personnages échapperont à qui n'est pas absolument roué - excusez le jeu de mot - au sport automobile ou aux sports de balles !


Quel plaisir de retrouver un Agecanonix meilleur que jamais, apparemment très bien compris par le nouveau duo d'auteurs !
Dommage que le reste du village fasse une si furtive - bien que jouissive et réussie - apparition !


                                                               ***

Alors, d'où vient que l'on condamne beaucoup ce nouvel album des aventures de notre petit gaulois teigneux favori?


D'abord, ce qui semble un crime de lèse-majesté:
Où sont passés l'incipit sacramentalis "Nous sommes en 50 avant J.C (...)" et la carte de loupe passée à la loupe pour faire entrevoir le village des irréductibles gaulois ? Car il est vrai que cette page est tout aussi indispensable qu'un "Il était une fois" au débit d'un conte ou qu'un Gunbarrel au début d'un James Bond.
Si l'on peut comprendre le déplaisir qu'apporte avec lui ce choix - ou le plaisir des modernes qui voient du progrès dans tout viol des attributs traditionnels d'un univers, c'est selon - il faut néanmoins se rappeler l'ouverture d'Astérix en Corse. Cet ancien album troquait la carte usuelle et le "Nous sommes en 50 avant J.C" contre une carte de la Corse encerclée de camps retranchés romains et un prologue délicieux de MM. Goscinny et Uderzo.
Fort de ce rappel, nous observons que la première case d'Astérix et la Transitalique lance en gros et en gras le syntagme nominal suivant: "L'ITALIE !"
Le désir de faire découvrir aux lecteurs la situation géopolitique complexe d'un pays souvent présenté comme se limitant à Rome dans les anciens albums a donc poussé MM. Conrad et Ferri a imité le choix de leurs aînés pour ce qui est de l'introduction non coutumière. Mais je pense sincèrement que nous retrouverons avec plaisir la fameuse page introductrice dans le prochain opus des aventures du petit gaulois.


Ensuite, une impression dérangeante de superficialité qui s'explique en réalité par un trop-plein de choix narratifs. Et, comme le dit Frenhofer, personnage de Balzac, dans Le Chef-d'oeuvre inconnu: le trop-plein de savoir de même que l'ignorance mène à la négation.
Tout le drame est là ! Ce nouvel album a pour ambition de montrer différentes grandes villes italiennes à la façon des grandes villes françaises dans Le Tour de Gaule. Dans le même temps, la course transitalique, qui devait servir de prétexte à cette visite touristique, prend le pas sur elle et lui vole toute la place. De sorte que deux pistes narratives font la course !
Il ne faut jamais courir deux lièvres à la fois de peur d'en soulever un voire mille à l'arrivée. Telle est la morale à retenir de cet Astérix.


Oui, le voyage en Italie de ville en ville est enchanteur ! Grand amoureux de ce pays, j'applaudis le premier cette belle initiative.
Mais le fait est que, la course se faisant pressante, les arrêts sont rares et nocturnes et la visite des villes de jour bien trop brève, se bornant souvent à 2 ou 4 cases.
Ainsi, certaines villes vont être privilégiées, comme Sienne et Naples tandis que Venise va servir un gag rapide, aperçue de loin et dépourvue de son élégance légendaire.


Mais de son côté, la course souffre aussi d'un certain nombre de défauts, dus à l'impression de rapidité que les auteurs se sentent obligés d'apporter à l'oeuvre.
La volonté de s'inscrire dans la logique des Wacky Races et de ses sources cinématographiques est bien là. Pourtant, on aurait pu attendre une plus grande attention apportée aux coureurs. Seules certaines équipes sont présentées en début de couse: on ne saura jamais vraiment les noms des goths, des grecs, sans parler des belges quasiment gommés en dehors des arrêts ! On aurait rêvé - et d'une certaine façon, on rêve encore - de chars pensés pour correspondre à chaque binômes d'auriges, symbolisant les nationalités en représentation. Seuls les gaulois et les Lusitaniens semblent mériter cet approfondissement ...
On aurait souhaité plus d'embûches, de cabales de la part des romains. Mais pour cela, il aurait fallu des romains plus enclins à la triche et un Coronavirus unique, dont l'identité eût été celle du dernier porteur du masque.


                                                             ***

En conclusion, un très bon Astérix, certes moins recherché que son prédécesseur mais plus prenant. Mais un Astérix qui se disperse, cherchant à combler deux orientations narratives à la fois en oubliant que si tous les chemins mènent à Rome, un char ne peut emprunter qu'une seule voie, sous peine de tomber dans un nid de poule.
Un Astérix rapide et furieux, un Madmax Furiosa, trop rapide, ce qui lui donne la fausse impression d'être superficiel.
Negligentia diligens non necessario placet, comme dirait Triple-Patte !

Frenhofer
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le 12 nov. 2017

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