Après une introduction qui dynamisait la relation unissant Batman et le Joker et un second volet plus dense en termes de story telling, avec un scénario qui pouvait rappeler Tintin et le Secret de la Licorne mais aussi plus compliqué dans son déroulé « montagne russe » qui a pu se montrer un peu indigeste, malgré des implications particulièrement prometteuses, nous retrouvons notre héros une dizaine d’année plus tard dans un Gotham néo futuriste méconnaissable où un nouveau Batman commence à y faire ses griffes.
Sans plus attendre, il est temps de vous alerter, chère lectrice, cher lecteur, que la suite de ce papier relève et revient sur un certain nombre de détails : une petite alerte spoilers n'apparaît donc pas hors de propos (le dernier paragraphe de conclusion donne un aperçu de mon avis, si jamais) !
Très vite, ce nouvel opus nous rappelle que la série initiée avec White Knight ne compte pas que des bonnes idées en nous introduisant une version IA de Jack Napier, la face cachée (et repentie) du Joker, qui sort littéralement du chapeau pour assister un Bruce Wayne tout juste évadé de prison. Autant le dire net, la manière dont ce troisième volet est rattaché à la saga auquel il appartient est un peu poussive. Pire, Sean Murphy se hasarde, un peu plus loin, à une séquence où Napier prend littéralement le contrôle du corps de son hôte en proie à une crise de panique. De même, la relation unissant Terry McGinnis, le Batman « pantin », et Derek Powers, l’ancien partenaire de Bruce Wayne qui tient les rênes aussi bien de la ville que celles de l’homme chauve-souris 2.0, est assez bâclée, presque incohérente, alors qu’elle constitue un pan important de l’intrigue. On notera par ailleurs, plus à titre accessoire, un petit abus au niveau des jeux d'ombres qui permettent de nous rappeler, avec plus ou moins de subtilité, les identités secrètes (ou enfouies) des personnages croisés sur le chemin du justicier en déni existentiel et qui se veulent trop souvent (mais pas systématiquement) gratuits et sans véritable plus-value.
Et pourtant, ces quelques défauts (qui ne sont pas mineurs) n’empêchent pas à ce Beyond The White Knight d’être une très bonne surprise !
L’une des raisons principales est, bien entendu, la patte graphique, lisible et dynamique, au caractère bien prononcé de Murphy qui nous en met, comme à son habitude, plein la vue. A cela s’ajoute une écriture qui sait se savoir de qualité quand il faut en présentant sous un nouveau jour des figures bien connues de cet univers. Si la galerie de personnages s’agrandit, Murphy ne s’éparpille jamais et ne cesse de nous surprendre en poursuivant l’exploration de l'entité qu'est Batman à travers les membres qui la compose. Et pour cause, la quasi totalité d’entre eux va être amenée à constituer la Bat-Family : nous y retrouvons, entre autres, Dick Grayson, le second Robin et ancien Nightwing, et Barbara Gordon, la fille du commissaire Gordon et ancienne Batgirl, qui ont tous les deux bien grandi et vécu jusqu’à se séparer en raison de différents idéologiques, mais également Harley Quinn, devenue mère de jumeaux suite à la mort de Napier à la fin de Curse of the White Knight et qui se veut l’une des plus ferventes complices (et bien plus encore) de Batman.
La concernant, Murphy continue de la traiter avec tendresse et d'étendre l'importance de la place qu'elle occupe dans la vie de Bruce (après tout, ses diamants se retrouvent dans la typographie du titre de chacun des volets de la série) car elle parvient à le confronter à la réalité et à le lire comme un livre ouvert (y compris lorsque Napier est aux commandes, aussi surréaliste cette situation puisse paraître). Malheureusement, ce traitement privilégié ne profitera pas à ses enfants, dont l'intérêt s'avère ici limité, voire même inexistant (à noter que Jackie, qui fait un peu (trop ?) plus que son jeune âge au passage, et son frère, Bryce, ont déjà eu droit à leur propre petite aventure dans Generation Joker). En revanche, l'ancienne comparse du Clown Prince du crime n'est pas la seule à bien connaître Batman : Barbara démontre, elle aussi, qu'elle est une alliée de taille en anticipant les besoins du Chevalier Noir car elle le sait bien incapable de faire face seul aussi bien à la menace que représente Powers qu'au dilemme psychologique consistant à renier son alter égo masqué. Force est de constater que les années et le badge de commissaire récupéré suite au décès de son père dans Curse ont affûté sa perspicacité et sa badassitude. Pour autant, elle reste la jeune fille recueillie par un justicier au costume de chauve-souris et cela transparaît avec subtilité dans son écriture, en plus de valoir pour les autres membres de cette famille un peu particulière.
Pour reprendre la présentation de la team justement, Jason Todd, aka Red Hood, figure parmi les nouvelles têtes et se veut une addition classique (à l’image du spin-off en deux numéros qui lui est consacré, pour ne pas dire « anecdotique » le concernant) mais bienvenue ne serait ce que pour teasé la rivalité vis-à-vis de Dick. La troupe est complétée par deux autres vigilantes en herbe, Duke Thomas et Gan, qui remettent au goût du jour les couleurs de Robin, sans oublier Ace, le Bat-hound, qui a lui aussi à droit à son petit moment d’héroïsme (fort heureusement, Murphy n’en abuse pas). Même l’hologramme de Napier finira par rejoindre les rangs (un peu trop simplement d’ailleurs, l’absence d’une confrontation avec Jason est même déconcertante). On en profitera ici pour souligner que le traitement de ce dernier a une saveur méta en ce qu’il pourrait être soutenu qu’il personnifie le lecteur, un peu à la manière de la Harley Quinn de Lady Gaga dans Folie à Deux d'une certaine façon, en commentant à tout va l’action comme une vraie groupie (choix qui risque de ne pas forcément faire l’unanimité).
En prenant du recul, la confrontation avec Powers, dont les aspirations ne sont pas sans rappeler les enjeux de Batman v Superman (et oui, encore lui !), apparaît comme un prétexte pour permettre à Bruce de faire la paix avec les siens mais également (et surtout) avec soi-même en embrasant qui il est vraiment (avec un petit coup de pouce bien senti d’Harley durant le dernier acte) : au fond, comme lui explique Napier durant leur escapade clandestine, le fait qu’il ne soit pas un Wayne importe peu, il est le héros qu’il a su se forger avec son masque. Il est et restera à jamais Batman. Si de prime à bord, l’idée d’intituler ce papier « For the Bat-Family’s Sake » m’avait traversé l’esprit, ce que dit Bruce sur son héritage (« it’s not really my legacy anymore. Batman belongs to all of us. ») rend le titre finalement choisi plus pertinent (et, accessoirement, moins lourd).
Avant de conclure, en tant qu'ancien fervent fan de la série animée éponyme, il y a lieu de toucher un mot sur le plaisir qu'ont procuré les retrouvailles avec Batman Beyond, lequel n'a, étonnement, jamais été exploité au cinéma (l'affreux Flash d'Andy Muschietti aurait pu remédier à cela (ish) mais l'espoir demeure toujours permis quant à l'aboutissement du projet de Patrick Harpin et de Yuhki Demers). Agile et violente, revoir cette version ailée en action et être adoubée par le Batman original (lui permettant, par la même occasion, de s’émanciper véritablement de Powers, qui n’est, manifestement, pas le personnage sur lequel Murphy a voulu porté son attention) est particulièrement réjouissant et contribue au sentiment de tolérance ressentie à l'égard des défauts du scénario. Quitte à prolonger ce petit moment fan boy (on mettra facilement cela sur le dos de Napier), il m'a été difficile de ne pas penser, non sans regret, au costume de Batman des séquences Knightmare des films DC de Zack Snyder en découvrant le costume de Bruce improvisé à partir d'un Bat-suit pourvu d'un manteau en lieu et place de la cape traditionnelle.
Qu'on se le dise, au risque d'insister, tout ne fonctionne pas complètement dans ce Beyond (on peut ajouter à la liste commencée plus haut le traitement expéditif de Blight) qui se veut très certainement le moins intéressant de la série (hors spin-off) et dans lequel on sent que Sean Murphy a peut-être trop tiré sur la corde. Néanmoins, l'approche (et même l'appropriation, laquelle se traduit par quelques remaniements décelés ici et là) proposée par l'auteur de Punk Rock Jesus de cet univers qui nous est bien familier est si fraîche et offre tellement, tant sur la forme que sur le fond, qu'on en redemande toujours plus... surtout avec une telle fin : une ouverture vers une autre série Batman signée Murphy qui irait au-delà de White Knight ? Il n'y a plus qu'à espérer son retour à Gotham après un passage à de la Vega pour appréhender l'héritage d'un parent éloigné (mais aussi masqué) du Chevalier Noir ! 8/10 !