Black Lagoon
7.5
Black Lagoon

Manga de Rei Hiroe (2002)

Cigarettes, whisky et gros flingues. Mais pas que...

J’aime les titres musclés, efficaces et un peu bourrins sur les bords, qui sont très souvent bien plus denses et riches qu’ils n’y paraissent. Black Lagoon fait partie de ceux-là…
Black Lagoon est un seinen manga de Rei Hiroe. Prépublié depuis 2002 chez Shōgakukan, la série est toujours en cours. Rei Hiroe a mis plusieurs fois le manga en pause et son rythme de prépublication actuel est erratique. Entre 2006 et 2011, un anime en 2 saisons et une série de 5 OVA’s adaptés du manga ont été diffusés (et sont disponibles sur Netflix). Chez nous le manga est d’abord paru aux défuntes éditions Kabuto (5 tomes) avant de ressortir en 2010 chez Kazé Manga.


Et j’avoue, de prime abord ça ressemble juste a un titre musclé ou s’enchainent gunfights de folie et batailles rangées entre pourris divers sur la petite ile de Roanapur… En un sens c’est parfaitement juste mais pourtant c’est prendre un dangereux raccourci tant ce titre c’est tellement plus que ça. Déjà le plot de départ est pas banal ; un employé modèle japonais qui devient pirate auprès de ceux qui l’ont enlevé. Et par choix en plus !


Et si au début Black Lagoon démarre comme un banal manga d’action, très rapidement quand le monde de Roanapur se met en place on comprend que c’est bien plus que ça. En effet quand les différentes forces en présence pointent le bout de leur nez, le titre acquiert sa vraie forme et se mue peu a peu en titre plus psychologique faisait la part belle aux luttes de pouvoirs et d’influences, aux alliances, aux coup de putes et aux retournements de situations.. Oui c’est noyé au milieu d’une violence crue et quasi constante mais c’est de mafieux dont il est question ici et pas d’enfant de cœur donc cette violence a un sens relatif. Et ça rythme très efficacement le récit…


Car c’est tout un contexte géopolitique qui est mis en place ici, Roanapur fonctionnant un peu comme un état dans l’état et ici chacun a son rôle a jouer, ses objectifs a atteindre ou des comptes à rendre. Et les membres du Lagoon finissent toujours par se retrouver au milieu de tout ça. Et a devoir dépatouiller toute cette merde par contrat ou simplement pour survivre! Car même s’il est emballé dans un Univers de violence pure, quand la fumée des fusillades et la poussière des explosions retombent, Black Lagoon s’avère être un titre bien plus subtil et profond qu’il n’y parait. Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir ici, on est dans un gris permanent. Mais un gris lourd et poisseux, dans lequel on est jamais sur de rien… En plus de la ville qui est régit par ses propres codes il faut aussi faire avec ceux qui la peuple, leurs sensibilités et leurs motivations. Et beaucoup de ceux qui peuple Roanapur sont devenus ce qu’ils sont et font ce qu’ils font, non par choix mais suite à des revers du destins ou pour avoir pris une décision a un moment de leur vie. Le personnage de Balalaïka en est un parfait exemple : elle était capitaine des forces spéciales russes mais elle et ses hommes ont été destitués de leurs fonctions et bannis pour avoir refusé d’exécuter un ordre et en choisissant de sauver un enfant plutôt que d’accomplir leur mission. Si elle choisit la mafia c’est aussi quelque part pour donner a son équipe destituée par sa faute un job et une place dans ce monde, plutôt que de les abandonner à leur sort.


Mais c’est pourtant pas un récit glauque ou triste. L’auteur a un vrai talent pour rendre le tout fun et marrant quand il le faut notamment aux travers d’interactions entres les différents personnages ou de petits passages humoristiques. Car on peut être des crapules, on a quand même de l’humour et on sait s’amuser. Rei Hiroe met donc en place une large palette de personnages profonds et denses (comme les membres du Lagoon ou les mafias locales) qui contribuent pleinement a nourrir son récit à tous les niveaux.


Rock, l’employé de bureau japonais typique mais qui se révèle bien plus « sombre » qu’il n’y parait. Se servant de tous ses acquits de salary-man, en plus d’être fin négociateur et habile stratège, il va rapidement devoir composé avec ses nouvelles règles pour tirer son épingle du jeu et arriver a ses fins.


Dutch, le patron de la compagnie Lagoon et ancien Marine, il conserve son calme en permanence. Mais comme les autres il semble trainer derriere lui un lourd passé…


Benny, le hacker de génie qui a du fuir les USA car il s’était mis a dos la mafia locale et le FBI.


Revy, la flingueuse du Lagoon. Surnomée « Two-hands » pour sa capacité a employer un Beretta dans chaque main, elle est peu subtile et violente mais s’avère au final bien plus fine et sensible qu’il n’y parait.


D’ailleurs beaucoup de femme de caractères et/ou de pouvoirs prennent place dans le récit. Balalaïka, ancienne militaire, boss de la mafia russe qui défini a elle seule l’essence du mot charisme qui prend avec elle toute sa dimension, Roberta, tueuse enragée mais désabusée en quête de vengeance et de rédemption ou Eda la bonne sœur et Joranda la mère supérieure de « l’église de la Violence », marchandes d’armes de prime abord mais qui au final pourrait être bien plus que ça, toutes jouent un rôle majeur dans ce petit monde bien pourri de Roanapur… Sans oublier Jane la Hackeuse, Fabiola la soubrette garde du corps, Sawyer la nettoyeuse (qui bénéficie de son propre spin-off) ou Shenhua la tueuse thaïlandaise qui passe son temps a se prendre la tête avec Revy et a vouloir « couper son gros cul en lamelles ».


La ville de Roanapur qui petit a petit devient un personnage a part entière. Elle est violente, pourrie, corrompue et possède son histoire, ses codes, ses règles et tous doivent composer pour y (sur)vivre.


Coté mafieux, c’est aussi du lourd avec Mister Chang, ancien flic de Honk-Kong et désormais chef de la branche thaïlandaise des Triades. Posé, calme et réfléchi, il préfère jouer subtilement et faire travailler les autres pour lui, plutôt que de tout faire péter. Néanmoins il sait que la force brute est parfois nécessaire et n’hésite pas a monter au front quand il le faut. Et il assure le bougre…


Sans oublier les mafias italiennes, sud-américaines etc., les escrocs, les petites frappes, les services de renseignements, le KGB, la NSA, la CIA etc. qui on tous des buts et des objectifs a atteindre. Et si ça éclabousse Roanapur et gêne le business, il va falloir régler tout ça et passer à la caisse qui que tu sois.


Mention spéciale a Bao, rescapé de l’armée Sud-Vietnamienne et patron du bar « Yellow Flag » qui devient le centre d’un running-gag. En effet son bar fini toujours démoli suite à un gun-fight dans celui-ci. Et planqué derrière son bar blindé, Bao cherche toujours a qui envoyer la facture…


Et les différents antagonistes et protagonistes qui parsèment le récit ne sont pas en reste à ce niveau et tous apporte leur petite pierre à l’édifice.


Bref, dans cette ile de tous les vices, faut avoir une sacrée personnalité et quelques atouts dans sa manche pour composer et espérer survivre. Et comme tout ce petit monde de la pègre est soumis a des règles, des codes propres a ces milieux, les connaitre, les respecter et savoir composer avec, c’est l’assurance de vivre quelques jours de plus ou tout du moins ne pas se mettre quelqu’un de dangereux a dos. Les différentes mafias s’occupant d’ailleurs de cultiver ce status-quo permanent ou chacun possède sa place. Le personnage de Rock illustre d’ailleurs très bien l’ambiguïté de ce monde et de tous ces personnages et c’est surement celui qui en caractérise le mieux la complexité et la profondeur. D’apparence calme, éduqué, poli, cultivé il y a aussi beaucoup d’humanité en lui, comme certains de ses actes le montreront. Cependant, il possède pourtant clairement (et comme beaucoup) une part d’ombre en lui et ressent un vide dans sa vie, vide qui le convainc d’ailleurs de rejoindre le Lagoon. Mais c’est ce coté sombre et un peu fou qu’il va devoir pleinement exploité. Car ce salary-man modèle qui faisait des courbettes devant ses clients et supérieurs et que rien ne prédestinait a frayer avec les hautes sphères de la pègre se révèle être un redoutable requin, un excellent stratège et une personne extrêmement audacieuse. Quitte a se retrouve a menacer a demi-mots la personne qui gère le trafic d’armes pour la faire céder et mener a bien son boulot ou a engager un pari avec le boss des triades chinoise et finir par engager une partie d’échec avec la ville entière quitte à la mettre à feu et à sang et en se servant de toutes les forces de Roanapur comme de simples pions. Et sans user lui-même de violence, ce qui est peut-être le pire…


C’est en se servant de ses forces et de ses faiblesses, en jouant avec les limites, en se servant habilement des autres que tout ce petit monde évolue de boulots en arnaques en passant par des coup pourris et autres joyeusetés. Avec malgré tout un peu d’honneur et de bon sentiments au milieu de tout ça. Honneur de voyous mais honneur quand même car malgré tout « business is business ».


Et tout ça, mis en scène par Rei Hiroe, ça nous donne un putain de titre musclé et addictif avec des intrigues bien perchées et tordues juste bien comme il faut !


Niveau dessins Rei Hiroe c’est pas un manche ! Il livre un récit nerveux et dynamique servi par un dessin et un découpage qui l’est aussi. C’est clair et lisible -même dans les bastons-, détaillé comme il faut et l’utilisation de plans et de cadres cinématographiques plante l’ambiance en quelques cases. Un soin particulier est apporté aux armes. Les personnages sont immédiatement reconnaissables et généralement plutôt badas dans leur design. Le récit est construit en arcs narratifs, certains s’étalant sur quelques chapitres, d’autres sur quelques tomes. Sans réels liens entres eux, les conséquences de ceux-ci auront pourtant des répercutions sur la suite du récit qui est construit comme un tout suivi.


Black Lagoon c’est aussi un titre perclus de références a des films, des auteurs et surtout à la musique. Dès le premier chapitre ont peut voir Revy faire une référence à Pulp Fiction en disant « dead as fuckin fried chicken buster » au moment de flinguer un gars ou un peu plus loin la voir défoncer toute une batterie de bateau en chantant du White Zombie et du Rednex !


Coté édition c’est du Kazé manga, ça fait parfaitement le job point. Petite jaquette en vernis sélectif qui va bien, impression nette sur un papier correct. Une histoire bonus humoristique prend place à la fin de chaque tome et met en scène les personnages principaux dans des situations aux antipodes de la série.


Alors si vous avez envie de lire un titre musclé ou l’hémoglobine coule a flot mais qui au final est bien plus dense et profond qu’il n’y parait, foncez sur Black Lagoon. Sinon, y’a aussi l’anime sur Netflix…

Lupin_the_third
9
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Créée

le 12 mars 2021

Critique lue 271 fois

Lupin_the_third

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