J’avais commencé Black Science il y a quelques années sans jamais aller au bout et aujourd’hui, à la faveur de l’édition intégrale, je m’y replonge avec l’impression étrange de retrouver une ancienne promesse inachevée. J'adorai ce comics et je l'aime toujours autant aujourd'hui, alors j'attend avec comme un espoir que cette série puisse trouver une belle conclusion...
Ce tome 1 confirme une chose, oui, il y avait bien quelque chose de viscéral là-dedans. Une intensité presque trop brute, une ambition graphique et narrative qui déborde de partout, et cette sensation d’être pris dans un chaos multidimensionnel sans filet, sans pause, sans guide. Et c’est précisément ça que j’aime dans cette série!
Le pitch tient en quelques lignes, mais la portée est immense. Un scientifique iconoclaste brise les règles de l’éthique pour percer les secrets de la réalité parallèle via un dispositif nommé le Pilier. Il entraîne sa famille et son équipe dans une chute libre à travers les mondes, sans espoir de retour stable. À partir de là, tout devient instable, dans les décors, dans les relations, dans la narration elle-même.
Cette instabilité est la signature même de Rick Remender, j'ai pu le reconstater avec Seven to Eternity. Mais ici, on est sur quelque d'encore plus cataclysmique et une course contre une montre qui semble déjà nous faire perdre!
Remender, ici, est dans une forme d’écriture à vif. Ses personnages ne sont jamais lisses. Ils sont impulsifs, rongés par des dilemmes moraux, guidés par des pulsions aussi nobles que désespérées. C’est peut-être ce que j’avais sous-estimé lors de ma première lecture, Black Science, ce n’est pas juste un délire SF gonzo à base de mondes parallèles et de créatures insectoïdes, c’est une tragédie familiale déguisée en récit pulp.
Visuellement, c’est un régal. Les planches de Matteo Scalera sont tout simplement hallucinantes. Il y a une folie dans son trait, une déformation constante du réel, comme si chaque monde parallèle était en train de se désagréger sous nos yeux. Les designs sont démentiels, les décors organiques, les créatures improbables, les cadrages jamais sages. Et puis il y a Dean White aux couleurs, saturation, contrastes violents, explosions de lumière. C’est beau, c’est chargé, c’est parfois presque trop, mais c’est exactement ce qu’il fallait pour accompagner cette narration au bord de la rupture.
Et pourtant… j’ai toujours cette inquiétude.
Une petite voix qui me rappelle pourquoi j’avais décroché la première fois.
Parce qu’à force de courir, le récit s’essouffle. À force de cris, on finit par ne plus entendre les mots. Black Science est à son meilleurs, mais on voit à la fin, pointer le bout du problème d'une suitre... On y frôle parfois l’overdose. Comme si l'histoire te disais que tout peut exploser à chaque instant. Comme si on été à l'aise seulement dans les flash back et ça fonctionne, oui, mais au prix d’une certaine fatigue. Il y a une densité folle, une ambition dramatique qui frôle le grandiloquent, et j’espère que les tomes suivants sauront trouver un peu plus de respiration.
Sinon je crains de revivre la même lassitude qu’à ma première tentative... Et encore... J'élude volontairement mes vieux sentiments, au sujet de la suite, que je reprendrai bientôt...
Mais ne boudons pas notre plaisir. Ce tome 1, pris seul, est un formidable tour de force. Un monde éclaté, un père brisé, une équipe au bord de l’implosion, et l’impression de feuilleter un cauchemar de SF hypercoloré. Il me reste encore du chemin à faire pour atteindre la fin de l’histoire, et j’avance avec prudence, fasciné par cette machine folle, mais pas dupe de ses limites.
Il y a des œuvres qui brillent plus fort que les autres, même quand elles te brûlent un peu les yeux. Black science en fait partie, c'est frénétique et cruellement addictif!