Surexploiter
Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 6 épisodes initialement parus en 1990/1991, écrits, dessinés, encrés et complétés par des lavis de gris par Rick...
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le 17 oct. 2019
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Il aura donc fallu plus de 25 ans pour que le brûlot Brat Pack de Rick Veitch, petite pépite corrosive de la bande-dessinée indépendante américaine, arrive jusqu’à chez nous, nous qui nous gaussons pourtant d’être le pays de la bande-dessinée.
Une fois encore, nous pouvons remercier les éditions Délirium qui ont du flair mais aussi les appendices génitaux nécessaires pour oser faire connaître le travail d’un auteur quasiment inconnu chez nous. L’édition française de 2019 est luxueuse, accompagnée de nombreux documents de travail dont le script original et les premières ébauches des personnages à l’oeuvre dans cette comédie diabolique.
Brat Pack s’inscrit pourtant dans une veine qui a été bien exportée jusqu’à chez nous, celui de la déconstruction du mythe super-héroïque de la fin des années 1980, amorcée par des œuvres telles que l'excellent The Squadron Supreme de Mark Gruenwarld et dynamité par les coups de poings que furent ceux portés par Alan Moore et Dave Gibbons avec The Watchmen ou Frank Miller avec The Dark Knight Returns. Le super-héros quittait ses œillères et se retrouvait face à un monde plus adulte, plus absurde, plus moderne aussi, dans lequel il devait se questionner pour retrouver sa place.
Ce nouvel espace de libertés pouvait se révéler grâce au soutien des maisons d’édition de l’époque, les œuvres précédemment citées ont été publiées chez Marvel ou DC, soucieuses d’explorer de nouvelles voies (et aller rechercher de nouveaux publics) mais aussi au sein du dynamisme des éditeurs indépendants. Une scène alternative dans lequel Rick Veitch s’est épanoui, co-fondant Thundra avec Kevin Eastman, riche alors de son succès avec Les Tortues Ninja, et au sein de laquelle il côtoiera tous les grands noms de l’époque. Après avoir repris le Swamp Thing d’Alan Moore il travailla par la suite plusieurs fois avec lui (Supreme, 1963, Tomorrow Stories) et ce n’est pas non plus un hasard si c’est Neil Gaiman en personne qui lui offre la préface de cet ouvrage.
Rick Veitch a toujours prétendu aimé la figure sur-héroïque, mais voulait démontrer à l’extrême les travers possibles de telles figures. Avec Brat Pack, il s’aventure sur un domaine encore peu exploité, celui des compagnons juvéniles de ces dits héros, à l’image de la relation entre Batman et Robin. Le point de départ de l’inspiration provient de ce coup marketing sordide de DC Comics, qui avait fait voter ses lecteurs pour décider du sort du deuxième Robin, s’il devait survivre ou pas aux coups du Joker à l’issue d’une saga étalée sur plusieurs numéros à l’été 1988.
Il en est d’ailleurs fait indirectement mention au début de cette série quand le sort des jeunes prodiges, le Brat Pack, est scellé par un sondage radiophonique provocateur mais mis en application par le terrifiant et dérangé Dr Midnight. Les jeunes acolytes sont alors réduits en charpie par une bombe. Leur sort est brutal, violent, même si les équipiers en question n’avait pourtant pas l’innocence attendue, chacun de ces adolescents étant alors sur la crête de tomber dans une déchéance encore plus grande.
Qu’à cela ne tienne, les super-héros officiels ont besoin de sang neuf, de nouvelles têtes, pour les « épauler » alors le recrutement est exigé au prêtre Dunn. Celui-ci, accablé, n’a pas d’autre choix et trouve de nouveaux remplaçants fébriles à l’idée de côtoyer leurs idoles. Mais entre Midnight Mink, le Batman de l’histoire mais pédophile supposé, le raciste Judge Jury, réactionnaire de la pire espèce, King Rad, alcoolique et drogué qui se prend pour un éternel adolescent ou Moon Mistress, super-héroine aux charmes et à l’héroïsme fanés, les formateurs en superhéroïsme risquent de casser à leur tour cette nouvelle relève.
Brat Pack est une œuvre fascinante, qui a le sourire sournois de ses thèmes. L’histoire qui est développée au fur et à mesure sent de plus en plus le soufre et les égouts, offrant quelques pistes supplémentaires quand ce ne sont pas de nouvelles idées aptes à soulever les estomacs. L’ensemble est passionnant, car il est bien difficile de savoir comment elle va se terminer, même si on pressent que la fin heureuse n’est pas inscrite dans le cahier des charges. Malheureusement cette conclusion s’avère bousculée, pas aussi fluide que le reste de l’ouvrage. Elle avait pourtant déjà été modifiée entre sa sortie en fascicules puis en relié pour les librairies. Une petite déception, mais qui reflète aussi la difficulté de conclure cette histoire riche en détails sordides et en points épineux.
Avec son ouvrage, Rick Veitch taille dans le bois de la figure du super-héroique pour lui offrir un cercueil en bois véreux. De la propension du mythe à verser dans le fascisme ou dans un consumérisme malsain, Brat Pack agite quelques critiques connues, et il n’en ressort rien de bon. Mais en utilisant le thème de l’enfant prodige, du sidekick enfantin, il offre une satire malsaine de ce cliché du monde des comics, entre l’adulte protecteur et l’enfant évidemment innocent. La relation adulte-enfant est pervertie, le modèle est auto-destructeur ou animé de penchants lubriques, il n’en ressort rien de sain, malgré toute l’hypocrisie bienfaitrice annoncée.
Dessiné et encré à l’encre de chine, Brat Pack n’offre pas de couleurs, ni dans ses thèmes et donc ni dans sa réalisation. L’oeuvre est d’un noir-gris désespérant, qui n’a rien à envier aux productions adultes d’EC Comics, mais dont l’encre serait mélangée à un désespoir et un mal-être agressif. Rick Veitch s’investit dans son malsain bébé, travaille ses compositions, le rythme de ses pages. Dans la souplesse de son trait on retrouve parfois l’expressivité de Neal Adams, qui avait su en son temps montrer certaines des limites du super-héros.
Dans l’univers de Brat Pack, l’espoir est fragile, le monde dépeint est malade, mensonger, et ses héros en sont une des facettes, dont l’héroïsme est une hypocrisie malade. Les adolescents innocents entraînés dedans ne peuvent en sortir meilleurs, dans un cycle de générations qui s’apparente plus à un cercle vicieux. Une œuvre au cynisme presque grotesque, mais à l’intelligence provocatrice rare et au dessin réalisé. Une pépite d’or noir et huileux mal connu, à faire donc découvrir à tous ceux qui peuvent en supporter le ton poisseux.
Créée
le 28 août 2025
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 6 épisodes initialement parus en 1990/1991, écrits, dessinés, encrés et complétés par des lavis de gris par Rick...
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