Au croisement entre la machine et l'humain

Comme toujours, Bablet questionne ici l'humain et cette sensation « solstalgie » (le terme est de Damasio dans sa postface) qui l'habite. Le peu que je puisse dire, c'est que c'est une réussite.

La narration est impeccable, limpide, avec son flot de subtilités qui permettront, j'en suis sûr, différents niveaux d'interprétation au fil de relectures. Les personnages principaux, autour desquels gravite toute l'intrigue, donnent envie de les suivre jusqu'au bout de leur quête, qui s'étend sur plus de deux cents pages. Par certains côtés, l'histoire me fait penser à la nouvelle "L'homme bicentenaire" d'Asimov, avec une dimension plus mélancolique et plus désillusionnée dans son traitement.

On se retrouve dans cet entre-deux étrange, entre chien et loup (ou entre machine et humanité), qui se mélange difficilement et dont émerge pourtant une beauté et une sensibilité unique. Tout au long de leur vie, dans un monde en décomposition, Carbone et Silicium apportent aux mêmes questions des réponses différentes, dans un dialogue à travers l'espace et le temps. Plus que jamais, la dimension philosophique se développe, sans lourdeur ni jugement.

Pour ce qui est du graphisme, il faut accrocher aux gueules cassées dont est coutumier l'auteur. Mais pour ce qui est des décors, Carbone & Silicium a ce même côté monumental qu'on retrouve dans toutes les œuvres de Bablet. Dans Shangri-La, cet aspect se heurtait au huis-clos de l'histoire (contrairement à Adrastée qui exploitait de façon brillante cet amour pour la contemplation des grands espaces et des architectures démesurées). Ici, impossible de ne pas se laisser porter par ces moments hors du temps qui prennent une ampleur incroyable et captivante.

Il y a de grandes chances que vous ayez entre les mains un album qui va marquer l'année 2020 et qui représente déjà un élément essentiel de la bibliographie de Bablet.