Second tome des aventures d’Anibal 5, Alejandro Jodorowsky clôt la parenthèse en assumant la parodie spatiale jusqu’au bout de ses fantasmes d’irrépressibles et incessantes fornications, affirmant plus avant ses obsessions intimes, pour le plus grand plaisir de nos yeux grâce au dessin affiné et enchanteur, séduisant par sa légère simplification, du complice Georges Bess. Aux jeux graphiques de l’outrance récréationnelle et du



fourmillement instinctif et spontané de l’imaginaire,



ces deux-là se sont trouvés.


Après deux pages de reprise narrative au cœur de l’acte où nous avions laissé le cyborg – dans les bras de ses Marylins – il est toujours question de menace sur l’humanité quant il s’agit d’appeler le héros au secours. Mais le parti-pris de l’épisode confirme le recul humoristique de l’intention initiale en gardant le corps à bord, embarqué dans les bras de trois miss, et préférant transporter son esprit seulement, dans le corps d’animaux pour des missions de reconnaissance, puis dans celui d’une femme par souci d’efficacité, souci bien évidemment contrarié par la femme en question autant que par l’âme obsédée du cyborg déréglé.



Notre ami fait une allergie… au temps qui passe...


Alejandro Jodorowsky – qui a de drôles d’explications à ses symptômes – continue d’assouvir ses fantasmes et de partager ses obsessions salaces. Jusqu’à pousser l’extrême confrontation, scénario d’une violence et d’un érotisme rares, comique de l’absurde, extrême affrontement des genres : les ennemies de l’épisode sont deux femmes, deux reines magiques, le réconfort ultime du guerrier est un fantasme géant, et le récit se raconte au rythme des accouplements maladifs de l’espion. L’auteur désacralise tout ce que la vie lui fait poser sur un piédestal, hurle sa peur des femmes, son incompréhension profonde de leurs atours et des mystères de la séduction dans laquelle l’homme s’abandonne. Perd la raison à tout instant. Il joue de la banalisation du sexe et du corps féminin, y disséminant un humour ravageur, pour raconter dans



la splendeur cosmique d’un space opéra comique



la vanité fragile de l’homme.
Assoiffé de contrôle et à qui pourtant, tout échappe. Irrémédiablement.



Maudit soit celui qui se demande ce qui est devant, ce qui derrière,
ce qui est en haut et ce qui est en bas !



l’auteur va jusqu’à s’envoyer un clin d’œil de dérision en citant L’Incal.


Georges Bess nous régale encore d’un univers à la hauteur du foisonnement intérieur de son scénariste : mondes travaillés dans les moindres détails, paysages grandioses et vues spatiales graphiques, personnages identifiables malgré la profusion des courbes et rondeurs, nus à toutes les pages, combats d’anthologie et kung-fu bestial pour quelques séquences extraordinaires d’espionnage animal. La palette est vaste, la réalisation est superbe, le dessin riche et fin. Tout ce qu’on attend de diversité et de magie, de plaisir à la lecture d’une bande-dessinée européenne de science-fiction relativement classique.



Sublime ouvrage graphique !



Malheureusement, le délire s’arrête là, deux petits tours et puis s’en va.
Les deux compères terminent la série. Probablement avant qu’elle n’aille trop loin dans le foutraque, pour le meilleur donc. Ils repartiront bientôt à l’assaut d’aventures plus sérieuses dans les plaines rocailleuses du Mexique autour de Juan Solo. En attendant, ils ont su nous régaler de deux albums décalés respirant la marque des psychopathologies du scénariste et le talent indéniable de l’artiste aux crayons. En assumant l’outrance jusqu’à la déraison, en laissant foisonner



les possibles sensuels et sauvages d’un récit guerrier



linéaire et fantasque, bourré d’arrières-pensées, Alejandro Jodorowsky et Georges Bess signent un épisode parodique sublime qui transpire leurs influences et leurs penchants autant que leur talent.
Un brin jouissif de connerie libertaire...

Matthieu_Marsan-Bach
7

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le 24 janv. 2017

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