J'apprends que cette bédé est adaptée d'un auteur de la première moitié du XXe, ce qui précise mon impression.
Un jeune, après des années de baroud financées par ses parents, et des études dans une école d'architecture occidentale où il a pu découvrir les nouvelles modes, est forcé par les circonstances de reprendre l'entreprise de construction familiale. Il va également se trouver quasiment contraint d'accueillir des orphelins ramenés par une amie d'enfance qui refait surface.
Malgré les marqueurs vestimentaires ostensibles de notre présent historique, sa maison, c'est le Japon, et ses parents morts dans un incendie sont la génération de la guerre. Il va devoir faire ses preuves dans l'improvisation, et amadouer les créanciers sans pour autant transiger sur la qualité des matières premières - il ne peut se permettre de déshonorer le nom familial en effectuant un travail de mauvaise qualité, et la construction de son estime de soi, soumise à la pression écrasante des morts, lui impose de s'en sortir sans profiter des mains tendues par les partenaires professionnels de son père défunt. Il doit trouver sa place dans le nouveau monde régi par les banquiers, sans trahir les valeurs familiales.


La précision du style et l'attention donnée aux détails - dans l'épure - reflètent la thématique : simplicité, refus des fioritures, sobriété et retenue. Gracieux sans ostentation, maîtrisé, le pinacle d'une carrière. La composition des cases et des pages est efficace et élégante.
Ca peut évoquer le cinéma de Bresson (gros plans sur les mains, sécheresse et précision), ou peut-être aussi celui d'Ozu, lorsqu'il s'intéressait aux relations familiales, je suppose.


La place des personnages féminins complète le tableau : le choix est offert au personnage central masculin peu disert entre une jeune femme de bonne famille à la sexualité affichée, et une pauvrette qui ne met pas son corps en valeur, préférant se consacrer aux tâches ménagères et à l'éducation des enfants (les orphelins...de guerre, pour filer la métaphore). Gros spoil : devinez laquelle il choisira à la fin.
Il se passe très peu de choses entre les personnages : leur retenue toute nippone fige la progression du récit et entretient le triangle amoureux, situation extrêmement banale dans les fictions japonaises - ce manga se situant à l'opposé du spectre uniquement dans le caractère non sexualisé des situations.


Il est question de trouver sa place dans le cosmos qui articule harmonieusement les humains et la nature; de transmission des valeurs de travail et de persévérance, tempérées par la bienveillance envers les faibles (l'employé qui trahit mais revient dans le giron, les enfants, les femmes). Une forme de paternalisme bienveillant. Ce versant réac de la société japonaise qui tempère son mercantilisme effréné.
Ce manga est bien un chef-d'oeuvre, mais il s'inscrit de manière quasi militante dans le versant traditionaliste de la mentalité japonaise, avec ses bons et ses (très) mauvais côtés.

Chaton_Marmot
10
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le 5 sept. 2017

Critique lue 306 fois

4 j'aime

Chaton_Marmot

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