J'ai attendu le dernier moment pour parler de Chiisakobé, manga sensible et lancinant qui m'a bercé pendant plus d'une année. Mais voilà : publié le 18 novembre dernier, le quatrième et dernier tome de la nouvelle série de Minetarô Mochizuki confirme tout le talent d'un auteur jusque-là passé assez inaperçu en France. Je n'ai plus d'autre choix que de vous donner envie de vous rattraper, surtout que le titre sera en compétition officielle au prochain Festival international de la BD, qui se déroulera à Angoulême du 26 au 29 janvier prochain.


De quoi ça parle ?


“Je ne comprends pas grand-chose à cette époque d’aujourd’hui, mais les temps ont beau changer, ce qui est important, c’est l’humanité et la volonté.” C'est en apprenant la mort de ses parents dans l’incendie qui a ravagé la menuiserie familiale que Shigeji se remémore les sages paroles de son père. Faisant fi de sa peine, le jeune maître charpentier inexpérimenté va trouver dans ces mots la force d'entreprendre, coûte que coûte, la reconstruction de l’entreprise. Et, pourquoi pas, y puiser de quoi s'accomplir en tant qu'homme.


Pour l’aider dans cette lourde tâche, Shigeji se fait assister par Ritsu, une jeune fille du quartier, qui vient habiter avec lui pour l’aider à gérer le quotidien des ouvriers. Mais Ritsu n’est pas seule et débarque avec cinq garnements privés de toit depuis que l’orphelinat du quartier a été lui aussi détruit dans l’incendie.


Transposition dans le Japon moderne d’un roman historique de Shûgorô Yamamoto paru en 1957 qui situait l’histoire à l’époque Edo (entre le XVIIe et le XIXe siècle), Chiisakobé est l’histoire de cette drôle de cohabitation qui va contraindre des êtres cabossés par la vie à s’accepter et à parvenir à exprimer leurs émotions les plus enfouies.


Pourquoi j'adore ?


Parce que Chiisakobé est un sommet de simplicité, qui tranche drastiquement dans la production globale de BD japonaises. “En choisissant d’éliminer certaines choses, je me suis aperçu que le rendu était plus clair et qu’on pouvait dessiner des choses puissantes, même sans utiliser de kôkasen” confiait Minetarô Mochizuki à Libération au moment de la sortie en France du premier tome. Sans employer ces traits souvent dessinés pour figurer le mouvement, le mangaka a choisi d’épurer son dessin à l’extrême et de s’attacher principalement aux détails, aux non-dits, aux postures qui trahissent souvent une émotion – comme ces poings qui se serrent pour intérioriser la colère – et multiplie les cadrages audacieux dans des planches (souvent muettes) animées par une ligne claire habitée.


Parce que Chiisakobé est le chef-d’œuvre que l’on attendait pour apprécier pleinement ce mangaka récompensé au Japon mais quasi inconnu chez nous. Car ni sa saga apocalyptique Dragon Head, ni la loufoque Maiwai, publiées toutes deux aux éditions Pika, n’avaient rencontré un public en France. Mais les quatre tomes de Chiisakobé ont suffisamment séduit la critique pour que la maison d'édition Le Lézard noir décide de publier, en janvier prochain, le premier tome de sa précédente série, Tokyo Kaido.


Parce que, malgré les thématiques abordées plutôt plombantes (le deuil, l’engagement, le renoncement, etc.), Chiisakobé n’est jamais déprimant. En dépit d’un humour toujours à la limite du malaise, c'est la poésie du quotidien que Minetarô Mochizuki excelle à nous dessiner que l'on retient.


Parce que plus on avance dans le récit, plus le personnage de Shigeji, planqué derrière sa longue tignasse et son look de hipster, nous fait penser à un Jésus portant des Converse sur son chemin de croix. Jamais la Via Dolorosa n’avait était aussi belle.


C’est pour vous si…


Vous voulez vous réconcilier avec les mangas qui riment encore pour vous trop souvent avec combats. Vous aimez les éditions de qualité, car les quatre tomes de Chiisakobé sont de très beaux ouvrages aux couvertures somptueuses. Et si vous voulez parier sur un titre qui sera en compétition officielle à Angoulême cette année et qui pourrait bien repartir avec le prix de la série...


Critique publiée sur Pop Up'.

Elodie_Drouard
8

Créée

le 11 déc. 2016

Critique lue 661 fois

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Elodie Nelson

Écrit par

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