Si le western a délaissé la petite lucarne et le grand écran, il traîne maintenant ses santiags et ses colts dans un autre décor, les cases de la bande dessinée française, avec de beaux succès. N’importe quel pied-tendre qui voudrait rivaliser avec les meilleures gâchettes pourrait se retrouver couvert de goudron et de plumes.


Alors Arnaud Le Gouefflec et Dominique Bertail prennent d’autres chemins, dans un certain air du temps qu’ils vont retourner à leur sauce, avec un sourire provocateur. Et puisque Mondo Reverso a été prépublié dans Fluide Glacial, ce n’est pas pour nous parler de cowboys qui ont du vague à l’âme.
D’ailleurs, évacuons-le tout de suite comme un crachat de chique, la promesse de Mondo Reverso est bien de se retrouver dans un western âpre, sale et viril, mais en opérant une magnifique inversion des sexes. Les femmes portent la culotte, jurent, picolent et baisent, les hommes sont de frêles créatures bonnes à baiser ou à marier.


L’attribut de la virilité est féminin, et gare à qui possède le sexe masculin, considéré comme le sexe faible et donc comme moins que rien. D’ailleurs, quand Mumu la terrible, sous l’effet d’un étrange philtre est condamnée à se transformer en homme, Cornelia, desperadette bonne vivante, compte bien récupérer la potion avant elle, accompagnée de Lindbergh, homme promis à un mariage qu’il ne veut pas, obligé de se travestir dans ce monde de brutes. Leur périple est mouvementée, cocasse, avec une simplicité un peu trop évidente mais assez réjouissante, sans états d’âmes ou quêtes introspectives, faut y aller c’est tout.


Dans ce monde inversé, quelques personnages grotesques seront de la partie, dont la grosse Mumu, Camille ex-femme devenu ermite pouilleux dans un cactus, mais aussi des bandits et des indiennes. L’intolérante pasteure, mercenaire et alcoolique Emitt est aux trousses de notre duo, un caractère haut en couleurs qui sera bien puni à la fin.


La découverte de ce monde renversé fascine et taquine, car elle se fait sans demi-mesure, dans une caricature bouffonne hilarante, mais aussi dans d’autres nombreux détails qui justifient ce nouveau monde. Dans les vêtements ou les expressions, les auteurs jouent avec les clichés. Les hommes sont ainsi des « coqs mouillés » parce qu’ils sont top sensibles, les boissons fortement alcoolisées sont des boissons de bonne femme et non plus de bonhommes. Les femmes qui se travestissent en hommes sont des oncles. Quelques parallèles avec notre univers sont évidemment à trouver, à l’image de ce bon frère fiévreux qui répète « Une papa, un maman ! » ou des indiens accusés de masculinistes parce qu’ils veulent être libres.


Et qui est morte sur la croix ? Jésuse.


C’est d’autant plus drôle que Mondo Reverso ne fait pas dans la dentelle ou le point de croix. Il y a bien sur la bêtise simple de ses personnages, mais aussi sa violence ou sa nudité. Quelques cervelles éclateront sous le choc des balles. Quelques hommes un peu gironds se dévoileront dans le plus simple appareil, tandis que les femmes ont le corps robuste et charnel, pour celles qui dévoileront leurs charmes. Le souci du détail renversé est même dans les scènes de cul, dans les postures un peu plus différentes, où les femmes dominent.


Dominique Bertail a d’ailleurs un sens du détail assez fou, mais aussi un trait rond et expressif, entre réalisme et caricature qui sied à merveille à cette histoire. Ses personnages ont de la gueule, avec ce qu’il faut d’exagération dans leurs mimiques pour ne pas oublier la farce lue. La bichromie sépia et sable est peut-être une solution de facilité, cette colorisation n’en est pas moins assez western et tout de même travaillée dans les nuances possibles.


Mondo Reverso est un western transgenre, ou swap genre, peu importe, mais il ne l’est pas pour proposer une nouvelle morale. Ce qu’il fait, il le fait avec une outrance et un sens de la provocation bienvenu, un humour ravageur et caricatural. Ceux qui voudraient lire un western féministe pourraient être surpris. La narration est tout de même un peu trop évidente et les personnages sans grands reliefs autres que leurs excès ou leur inversion des rôles attendus selon leurs sexes. Puisque la série se poursuit, un peu plus de soin dans la trame globale serait appréciable, tant que l’humour reste bête et outrancier.


Malheureusement le deuxième tome est loin d'atteindre la qualité de ce premier volet inaugural.

SimplySmackkk
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le 13 janv. 2022

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