Très souvent considéré comme le meilleur comics Daredevil, y compris sur SensCritique où il truste, à l'heure où j'écris ces lignes, la première place du top correspondant, Renaissance, ou Born Again dans la langue des bouffeurs de fromage en aérosol, relate la chute de Matt Murdock, l'abandon de Daredevil, jusqu'à sa résurrection.
Autant Renaissance est le premier comics Daredevil que j'ai sous les yeux, autant ce n'est pas la première fois que je suis confronté au style de David Mazzucchelli, à l'écriture de Frank Miller… et non, contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là, Mazzucchelli n'a pas travaillé à partir de ses propres story-boards : les illustrations sont entièrement de lui. Un style graphique très ancré dans les années 80 (ce n'est pas un défaut), lisible et détaillé, contrairement à quelques autres comics que j'ai pu avoir devant les yeux. Présenté comme amaigri et cassé durant une bonne partie du récit, Mazzucchelli ne fera que souligner, à travers ça, davantage le contraste entre la silhouette de Matt et celle toute en rondeur du Caïd. Bref, rien à dire à ce niveau-là.
J'ai ceci dit un peu plus de mal concernant l'écriture. Autant, je pardonne le fait que ce soit un peu bordélique en ce qui concerne les (noms des) personnages, Daredevil: Renaissance s'inscrivant dans une continuité, autant le format dans lequel a été originalement vendu le comics, la découpe des différents chapitres, se fait cruellement ressentir. Certains personnages (Ben Urich en tête) nous rappellent un peu trop fréquemment qui ils sont, ce qui nuit au rythme. Enfin, et ça recoupe avec le problème de continuité, mais l'arrivée des Avengers à la toute fin nuit au récit plus qu'autre chose. J'aime bien le Captain America, mais il n'est pas loin d'éclipser l'autre superhéros dont le nom est pourtant inscrit sur la première de couverture lors des dernières pages.
Bien qu'imparfaite, l'aventure reste tout de même « agréable » à suivre, avec une inspiration film noir cher à Frank Miller. Daredevil ayant été l'occasion pour l'auteur « de faire de la bande dessinée policière avec un super-héros », on peut dire qu'ils se sont bien trouvés tant Matt Murdock se rapproche de Bruce Wayne à bien des égards. Les prises de positions de Frank Miller ont beau être ce qu'elles sont, difficile de ne pas voir, à travers le personnage de Nuke, une critique de l'ingérence étasunienne au Vietnam et au Nicaragua, une caricature de Rambo (qui a très bien réussi à se caricaturer tout seul, et ce, dès le deuxième épisode, soit dit en passant). De surcroit, certains propos du Caïd, notamment lorsque celui-ci tente de convaincre Nuke de rejoindre ses rangs, ne sont pas sans rappeler ceux de Reagan (et par extension ceux de Trump aujourd'hui), avec un patriotisme ridicule et exacerbé, destructeur ; un antagoniste qui se veut au-dessus des lois, souhaitant former une trinité entre l'État, l'Armée et les Affaires, tout en vouant une haine sans noms aux journaux, aux faits. C'est ce qui fonctionne dans ce comics, la menace vient de l'intérieur, New York n'est pas la cible d'un adversaire venant de l'extérieur, mais est assez grande pour se faire du mal toute seule, avec sa criminalité banalisée, qui ne surprend même plus les citoyens.
Enfin, comme le titre l'indique si subtilement, le comics fait de nombreux renvois au christianisme. Outre la résurrection de Matt Murdock après sa mort symbolique (et une sorte de court passage dans le purgatoire), les noms des différents chapitres font explicitement références à des concepts bibliques et la Sœur Maggie, en plus de ressembler à la Vierge Marie, renverra explicitement le lecteur à la Pietà au détour d'une pleine page.
Sans être le chef-d'œuvre intouchable vendu par certains, Renaissance reste un récit solide, parfois lourd, souvent brillant, où Miller et Mazzucchelli parviennent à tirer de Daredevil quelque chose d’à la fois intime et foncièrement politique. Une œuvre imparfaite, mais suffisamment marquante pour comprendre pourquoi elle continue de figurer dans les tops des meilleurs comics de superhéros.