Dissident Club par Christine Deschamps

Une trouvaille dénichée à la 2ème édition de l'Affaire Tonnerresol, le nouveau festival international de BD de Tonnerre (89), en présence de son auteur, Taha Siddiqui, qui fait le choix ici de nous raconter sa vie, c'est-à-dire son chemin vers la dissidence et l'exil. Grâce à lui, et au dessin à la hache de Hubert Maury, très adapté à ce sujet parfois un peu statique pour une BD, on découvre non seulement la dure réalité de la vie intellectuelle et citoyenne au Pakistan, mais aussi les mécanismes d'une certaine radicalisation quotidienne, à visage humain. Avant toute chose, amoureux des religions appliquées à la lettre, je vous préviens : vous ne me trouverez pas de dent particulière contre l'Islam, mais bien un dentier complet contre tous les cultes servant de prétexte à nous monter les uns contre les autres, qu'il s'agisse de religion, d'économie ou même de football. C'est pour ça que j'ai lu ce livre, d'ailleurs, pour comprendre comment diable on pouvait plonger des pays entiers dans une forme d'aveuglement bêlant qui avilit l'être humain plutôt qu'il ne l'élève, tout en prétendant faire de lui l'enfant chéri d'une divinité prompte à récompenser les uns pour punir les autres. L'universalité du Divin en prend un coup chaque fois qu'elle met le nez dehors, ces derniers temps, et ça contribue à éloigner les esprits indépendants et curieux des collectifs belliqueux regroupés sous des bannières ostentatoires. Pourtant, l'auteur était programmé à la naissance pour devenir un bon pratiquant : élevé dans une famille pieuse traditionnelle et envoyé dans des écoles ad hoc, il lui suffisait d'apprendre un livre saint par cœur pour entrer dans le club très accueillant des pères de famille autoritaires épaulés par une communauté religieuse coercitive et un régime politique répressif. Une alliance gagnante dans tous les coins du monde (rappelons que seuls 12% de nos contemporains vivent dans des régimes démocratiques performants... tous les autres sont soumis à des pressions politiques et religieuses qui les dépassent). Il faut bien trouver sa place quand on n'a pas la chance d'être consulté par des parents tolérants, des professeurs bienveillants et des systèmes non répressifs. Au passage, ça permet de réaliser combien, dans nos fragiles 12%, la rébellion à deux balles des ados contre un système éducatif visant à leur assurer une totale autonomie de pensée est à la fois choquante et délétère. Mais revenons à Taha Siddiqui, petit garçon coincé entre des tas d'injonctions contraignantes, d'abord coopératif, pour plaire à ses parents, puis avec de plus en plus de mal, à mesure qu'il fait des rencontres qui lui montrent d'autres voies ou qu'il constate les limites du régime. C'est quand il commence à les tester, ces limites, qu'il songe à se rebeller contre les contraintes qui lui sont imposées. Le conditionnement n'a qu'un temps, il y a toujours un moment où l'esprit se réveille. Après, tout est question de courage et de cohérence. On sait où va le mener son parcours, puisqu'il était en dédicace à Tonnerre, mais on imagine mal les pressions familiales, politiques et professionnelles qui ont abouti à lui faire quitter le Pakistan avec sa famille pour sauver sa peau. Car la communauté, cet idéal si généreux, devient un enfer quand elle ne connait que la contrainte pour se faire respecter à défaut d'aimer. La démonstration est limpide quand il s'agit du Pakistan et utile dans nos régions tiraillées par des tensions internes pas toujours très reluisantes. Je vous épargne mon couplet sur les religions traditionnelles et le machisme, en outre.