Etre enterré vivant fait partie de ces situations qui nous font tous cauchemarder. Dans Dragon Head, le Japonais Minetaro Mochizuki imagine des adolescents piégés dans un tunnel après que leur train a déraillé pour une raison inconnue. Réédité aux éditions Pika, ce chef d'œuvre sombre et anxiogène - initialement publié en 1995 - révèle une autre facette du futur auteur de Chiisakobé.


Ça parle de quoi ?


De retour d’un voyage scolaire, un groupe de collégiens trouve la mort dans un accident de train. Seuls trois adolescents survivent. Ils se retrouvent piégés dans le tunnel où s'est produit le déraillement. Dans le noir, au milieu des cadavres de leurs camarades, Teru, Nobuo et Ako vont devoir surmonter leurs angoisses. Et chacun à leur manière, apprendre à se sortir de cette situation aussi horrible que désespérée.


Pourquoi j'adore ?


Parce que pendant près de 2 000 pages, la totalité des cinq volumes qui composent l'œuvre, Minetaro Mochizuki tient son lecteur en haleine. Impossible de ne pas s'identifier à ces adolescents enterrés vivants qui oscillent en permanence entre baisser les bras et sombrer dans la folie. Peuvent-ils espérer être secourus un jour ou une catastrophe plus meurtrière est-elle à l'origine du déraillement de leur train ? Une interrogation qui ne trouve aucune réponse dans les deux premiers volumes de Dragon Head déjà disponibles. Pour le lecteur, comme pour les trois survivants, l'important est de continuer à croire.


Dans cette situation extrême, les caractères se révèlent très vite. Teru apparaît comme le plus mature de tous. Il organise sa survie en cherchant de quoi fabriquer un éclairage et s'alimenter. Ako, blessée, semble trop abattue et éprouvée par sa narcolepsie pour tenter quoi que ce soit. Quant à Nobuo, il sombre très rapidement dans un délire schizophrénique dans lequel il imagine voir des monstres et se métamorphose en guerrier aux allures tribales.


Mais le héros de cette histoire est tout autre. C'est la peur que Mochizuki place au cœur de son récit. Celle éprouvée par nos trois rescapés, mais également la nôtre, par procuration. Notre peur du noir, notre peur de mourir, notre claustrophobie ou l'angoisse partagée par bon nombre de Japonais d'une catastrophe nucléaire. Mais surtout, notre peur de devoir un jour être confronté à soi-même.


Paru initialement au Japon en 1995, Dragon Head est une petite bombe qui a fait exploser la carrière du Japonais que son compatriote Katsuhiro Ōtomo (le père d'Akira) n'hésite pas à qualifier de "mangaka le plus doué de sa génération". En France, on le connait surtout grâce à la récente médiatisation dont à fait l'objet sa dernière série, Chiisakobé (éd. Le Lézard noir), qui a remporté cette année à Angoulême le Prix de la série et, en 2016, le 10e Prix Asie de la critique ACBD. Une reconnaissance qui a sûrement incité les éditions Pika à republier Dragon Head dans un format plus grand au sein de leur nouvelle collection Graphic lancée l'an passé. Au total, cette réédition comptera cinq volumes - chacun regroupant 2 tomes de l’édition originale - qui seront tous publiés cette année.


Les lecteurs qui ont découvert Minetaro Mochizuki en lisant Chiisakobé ne manqueront pas de noter l'incroyable évolution de son trait depuis Dragon Head. Beaucoup plus formel et proche du style graphique commun à la majorité de la production de mangas, Dragon Head risque au premier abord de déstabiliser les lecteurs qui étaient tombés amoureux du style très épuré du Japonais dans Chiisakobé. Avec un premier volume se déroulant intégralement dans l'obscurité d'un tunnel, le récit de Minetaro Mochizuki impose des dessins volontairement très noirs. Une noirceur avec laquelle l'auteur joue pour nous effrayer. Les ombres qui se dessinent à la lueur des flammes ajoutent une dimension anxiogène au récit.


Très peu de blanc, du noir et beaucoup de niveaux de gris, la recette pour amplifier cette atmosphère angoissante. Dans la postface du premier volume, Sébastien Langevin, rédacteur en chef de Canal BD Manga Mag insiste également sur la minutie avec laquelle l'auteur reproduit les décors : "Tout au long de la série, Mochizuki a dessiné des milliers de pierres, d'éboulis, de bâtiments en ruine avec force et détail, accentuant le côté résolument réaliste de l'œuvre". Et concevoir un thriller aussi effrayant que haletant.


C’est pour vous si...


Vous avez adoré Sa Majesté des Mouches de William Golding, un roman publié en France en 1956. L'histoire de jeunes garçons livrés à eux-mêmes sur une île après un accident d'avion. Un thème depuis largement repris dans les œuvres de fiction comme dans le célèbre Battle Royale du Japonais Koushun Takami qui transforme cette épreuve en jeu. Rayon manga, Dragon Head devrait séduire les fans d'autres œuvres emblématiques très sombres comme Akira (éd. Glénat mangas) de Katsuhiro Ōtomo ou encore Monster (éd. Kana) de Naoki Urasawa.


Critique publiée sur Pop Up'.

Elodie_Drouard
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le 25 mars 2017

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Elodie Nelson

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