Vous avez dit french touch ?
Dreamland, sous ses faux airs de shonen banal, est un manga particulier.
Déjà, ce n'est pas un manga mais un manfra, ce qui est très différent. Ensuite, il arrive à s'émanciper du paysage classique du shonen pour se créer son propre style...et en profite pour se vendre ! Ce qui n'est pas rien quand on connait les goûts du public français en matière de manga.
Pourtant, Dreamland se présente un comme un gros patchwork d'influences, où s'entremêlent les expériences de Reno Lemaire, ses coups de coeur et ce dans plusieurs domaines (BD, jeu vidéo, cinéma, etc...). Reno dessine au gré de ses passions, un peu comme ça vient, mais jamais de manière désorganisée. En fait, ce qui fait en partie l'efficacité de Dreamland, c'est l'équilibre entre le fan-service pour geek/otaku et les idées plus personnelles de Reno.
Bien entendu, tout cela ne relève que de la technique et ce n'est pas ce qui donne cet aspect singulier à l'oeuvre de Reno Lemaire. En réalité, ce qui donne envie de lire ce manga, c'est son scénario et le contexte dans lequel il se place. L'idée d'une dualité entre un monde de rêve et le monde réel est en soi une idée assez originale. Mais ce qui est encore plus frappant c'est que cette opposition rêve/réalité est poreuse et que chacun des deux mondes apporte son lot de conséquences sur l'autre à travers les personnages. Finalement, Dreamland se présente comme un rêve perpétuel, mais aussi comme une réalité persistante. Le fait que les personnages s'investissent autant dans un monde imaginaire nous fait nous demander où s'arrête le réel et où commence le virtuel. De plus, Reno prend le risque de prendre comme protagonistes des lycéens et de les caricaturer au maximum, ce qui, lui permet de dépeindre de manière explicite, mais peut-être en manquant de subtilité (c'est un shonen après tout), le quotidien des jeunes d'aujourd'hui : quête d'identité, besoin de s'évader, sentiment d'incomplétude, désirs sexuels, ennui et rejet du système scolaire.
Enfin, le charme de Dreamland doit beaucoup à sa french touch. En effet, dès les premières pages, on sait que l'on est face à une oeuvre française. L'humour omniprésent et les expressions typiquement françaises, les personnages, les lieux où se déroulent l'histoire (notamment Montpellier), la désinhibition (nudité, connotations sexuelles), les situations qui versent dans le nawak le plus total, rapport à la drogue assez libéré, etc... Tout ça contribue à personnaliser le style de Dreamland.
On peut quand même reprocher certaines choses à Dreamland qui pour la plupart relèvent du manque d'expérience de Reno Lemaire. Le dessin pas toujours maîtrisé (qui tout de même s'améliore à partir du tome 5), l'organisation parfois confuse des cases et des bulles ainsi que des combats pafois bordéliques et pas toujours compréhensibles à la première lecture. Le scénario pose également problème car il exploite un univers assez vaste, fourmillant de détails et de personnages qui ne cessent de s'accumuler au fil des tomes, mais que Reno a du mal à intégrer correctement dans l'histoire. Les tomes 10 et 11 représentent typiquement ce problème : Reno met de côté les personnages principaux et intègre de nouveaux protagonistes, de nouveaux lieux, de nouveau enjeux. Mais ces deux tomes, même s'ils présentent des liens avec la trame scénaristique, arrivent comme un cheveux sur la soupe, marquent une rupture avec le tome précédent et amoncellent énormément de détails sur l'univers dont on peut légitimement douter de l'utilité pour la suite. Pour ma part, j'ai trouvé les tomes 10 et 11 relativement indigestes et pas toujours pertinents. Cependant, les grands fans de l'univers Dreamland qui brûlaient d'envie d'en savoir plus se délecteront de la richesse de ces deux tomes
Je conseille donc Dreamland à tout les fans de manga. Oui TOUS ! Dreamland est une expérience à part qu'il serait dommage de rater. Le manga français a enfin son porte-étendart et montre qu'il sait s'émanciper des conventions imposées par le shonen japonais. Bon courage pour la suite Reno !