Eh bien eh bien, il n'est pas si mal que ça, ce Dust, comme dernier album de Blueberry ! De là à dire que le grand Jean Giraud est parti en beauté, il y a un pas que je ne saurais hélas franchir, mais étant donné la catastrophe des deux tomes précédents, je dois reconnaitre que je me surprends moi-même à autant apprécier cette 28ème et dernière aventure du héros le plus iconoclaste de la BD franco-belge.


Je ne sais pas si Giraud lui-même l'envisageait comme un point final à la série, les signes étant moins nombreux que dans Mister Blueberry, mais il y a quelque chose de très final dans cet album, qui était perceptible déjà avant la mort du dessinateur/scénariste trois ans après sa sortie ; sans doutes parce que le mélange retour aux sources/épilogue de la carrière du héros est beaucoup mieux orchestré que dans Ombres sur Tombstone et Geronimo l'Apache, où il s'apparentait vraiment à du bricolage improvisé.


Mais avant d'évoquer cette relation entre l'ancien et le nouveau Blueberry, autant commencer par le commencement. J'ai pas mal craché sur le buildup conduisant au règlement de comptes d'OK Corral, inutilement étiré sur pas moins de trois albums, mais le duel en lui-même vaut le déplacement ! L'affaire ayant duré moins de trente secondes, Giraud a beaucoup de mérite d'en avoir tiré huit pages, auxquelles il a apporté un dynamisme qui lui manquait depuis longtemps ! Après plusieurs tomes cloisonnés dans des saloons, on sent qu'il s'est fait plaisir, en piochant notamment dans ses racines leoniennes de l'époque de la trilogie mexicaine, comme l'atteste ce gros plan sur les visages en sueur des duellistes. Gir jongle également avec habileté entre les différents protagonistes (Earp contre Clanton, Blueberry contre Ringo, Billy contre Heinrich) et on ressort de cette petite dizaine de pages essoufflé, mais dans le bon sens.


Seule véritable touche personnelle apporté par l'auteur à ces événements historiques, l'inclusion des tueurs à gages se fait aux dépens du seul personnage fictif des deux fratries rivales, puisque le sympathique Simon (venu remplacer Morgan Earp) est victime d'Heinrich, lui-même empalé sur un piquet de clôture par le pénible Billy. Quant au massacre perpétré en pleine rue par Johnny Ringo toujours déguisé en squelette aux cheveux rouges… je dois dire que la séquence est étonnamment jouissive, car Giraud semble y avoir enfin pleinement embrassé la stupidité et l'absurdité de cette sous-intrigue.


Le reste va se diviser de la même façon que les tomes 25 et 26. Les conséquences du duel sur les différentes factions de la population de Tombstone sont tout aussi barbantes que ses prémisses (et toujours empreintes de relents réacs de la part de Gir…) mais la partie relative à la première affectation du jeune lieutenant Blueberry à l'Ouest est d'un niveau supérieur aux flashbacks des deux albums susmentionnés.


Tout d'abord, Giraud a eu une idée de génie en rasant presque instantanément le crâne de notre héros. Comme Le Hors-la-Loi et Angel Face l'ont démontré, c'est fou ce qu'on arrive à lui conférer en vulnérabilité et en humanité en supprimant ses fameuses bouclettes brunes ! Ce Blueberry-là est plus subtil que le clochard alcoolique des flashbacks précédents, il est outré par le traitement des Indiens mais reste un soldat professionnel jusqu'au bout des ongles, bien qu'impulsif et indiscipliné. En fait, Giraud réussit ici son pari de donner plus de maturité aux thèmes des guerres Indiennes qui était déjà à la base des cinq premiers tomes mais que la censure des années 60 empêchait d'explorer dans toute son horreur. Ici, le lieutenant est certes un fin tacticien et une tête brûlée, mais il est dévoré par la peur lors de l'attaque de la ferme, et réagit encore une fois en se saoulant. On est toujours dans La Jeunesse de Blueberry, les sudistes en moins et les Navajos en plus ! Quant à la sinistre séquence des femmes et enfants indiens massacrés et congelés, elle aurait été impensable à l'époque de Pilote.


Plus original encore, l'évocation de l'orphelinat du révérend Younger, véritable centre de lavage de cerveaux des enfants natifs. Ce pan dramatique de l'histoire américaine, l'assimilation forcée des jeunes Indiens à la culture dominante anglo-saxonne, est traité avec un certain tact et moins de manichéisme que d'habitude par Giraud. La même retenue est appliquée à la romance naissante entre Mike et Caroline Younger, fille du révérend, elle-même tiraillée entre sa loyauté à son père et ses propres sentiments. Son destin tragique contribue à expliquer la méfiance goguenarde du héros de l'Homme à l'Étoile d'Argent vis-à-vis du beau sexe, tendance qui s'est grandement adouci par la suite. Gros bon point pour cela. De manière générale, je tiens à souligner que pour toutes ses défaillances, Giraud le scénariste aura mieux géré ses personnages féminins que Charlier (l'époque n'est cependant plus la même).


Cela explique aussi à quel point, sur ses vieux jours, le beau Nez-Cassé tient à s'établir pour de bon avec quelqu'un, d'abord Chihuahua Pearl puis Dorée Malone. En parlant de Dorée, c'est là malheureusement, en fin de parcours, que l'édifice se fissure un peu. La belle à la chevelure garçonne (plus masculine que la longue crinière gominée de son petit ami) se rétablit de son tourment dollarhydesque avec la même rapidité que lui de son "hémorragie superficielle" du tome précédent puisque la voilà soudain en bottes et veste de cuir, winchester en main, décidée à se venger de Johnny Ringo avec l'aide de l'horripilant Billy.


Elle n'aura même pas besoin de se donner tant de peine, puisque le psychopathe perruqué refait surface à Tombstone, sans qu'on sache vraiment pourquoi, seulement pour être abattu par Blueberry et le gros Campbell. Tout est bien qui finit bien, jusqu'à ce que MSB réalise, en même temps que Giraud lui-même vraisemblablement, que Strawfield s'est barré avec son fric, ce qui fait du gros banquier le seul méchant de toute l'histoire de la série à s'en sortir non seulement vivant mais riche (même Prosit, à mon grand dam, n'a pas réussi pareil exploit) ! Mais ce n'est pas grave, car comme le remarque un Blueberry tout sourire, il est ruiné mais vivant et ne manquera pas de se refaire une nouvelle santé au poker.


Et c'est ainsi que nous disons adieu à l'un des plus grands personnages de la BD franco-belge. Quel dommage que Giraud soit retombé dans ses travers avec ce finish bâclé et stupide… le plus frustrant là-dedans c'est que jamais Blueberry et Geronimo ne se seront revus dans le cadre des événements de Tombstone, quinze ans après leur première rencontre, alors que tout le laissait augurer depuis le tome 25 !


C'est une occasion bêtement manquée, mais dans l'ensemble l'album reste beaucoup plus plaisant que les deux purges précédentes. Giraud le dessinateur est lui aussi remonté d'un cran, notamment durant le duel d'OK Corral et les flashbacks de Fort Mescalero, même si Dust contient son lot de visages caricaturaux, surtout dans la foule, problème récurrent depuis Angel Face, sans parler du fléau des visages qui changent au gré de l'humeur de l'artiste, en particulier le révérend Younger, vieillard rachitique et effrayant dans Ombres sur Tombstone, désormais gros bonhomme bouffi (?).


Voilà, un album plutôt solide pour finir, bien qu'il traine certains boulets des deux-trois qui l'ont précédé. Qui sait ce que l'avenir réserve à Mike Steve Blueberry, cela étant ? J'avais entendu dire que Christophe Blain devait reprendre le personnage, on verra bien… les héros ne meurent décidément jamais !!!

Szalinowski
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le 4 avr. 2019

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