Incontournable Album Septembre 2025



Ce livre a le format d'un album, mais il est découpé de façon séquentiel comme les BD. Je tiens également à dire que cette couverture est magnifiquement épique, tout comme sa palette de couleurs. Et derrière cette superbe couverture se trouve une BD quasi-sans-texte remplie de sensibilité sous forme de quête Fantasy foisonnante de créativité. C'est un univers qui me rappelle "Bergère-Guerrière" ou encore "Lighfall". Nous devons cette BD unique à l'auteur de la sympathique série "5 mondes".


Avant de vous livrer un résumé, je vous conseille de prendre le temps d'admirer cette incroyable page de garde double où on peut admirer l'univers en présence, qui me rappelle l'univers du Hobbit de Tolkiens.

Sur une maison douillette perché sur une falaise bordée de forêt, petit écrin de nature paisible s'il en est, vit une famille. Une famille endeuillée. Emmitouflé dans sa couverture, lové contre son père, notre jeune narrateur semble bien malheureux. Sa mère a disparu. L'espoir en l'avenir semble l'avoir quitté. Son père, faisant de son mieux pour entretenir un semblant de routine, tente de le rassurer quand à la suite des choses, notamment en cuisinant les recettes de sa conjointe. Toutefois, cela ne rassure pas notre narrateur, qui prend alors la fuite dans un excès de colère et d'anxiété. Il s'aventure dans la forêt, armé de son épée de bois. Commence alors une quête périlleuse qui le mènera quelque part au fond de soi. Il veut être sur. Il a besoin d'être sur. Il doit savoir. Est-ce que sa mère était heureuse d'être sa maman?


Ceci est l'histoire d'un enfant résilient, qui a besoin d'être rassuré et qui une fois rassuré, redevient l'enfant empathique et vaillant qu'il semble être de nature. Il finit par avoir confiance en L'avenir et également en son père, sa figure d'attachement désormais unique. Dans un monde qui a encore la fâcheuse manie de contraindre les jeunes garçons à ne pas vivre leur émotions, je trouve cette BD d'autant plus pertinente, précisément pour normaliser le deuil chez les jeunes garçons. Perdre un parents est un drame pour un enfant, surtout s'il est assez vieux pour réaliser le vide laissé par ce parent. Tristesse, colère, insécurité, anxiété, sentiment d'injustice et incompréhension sont donc tout-à-fait normaux à ressentir.


La Bd est une vaste allégorie sous forme de Fantasy. On peut imaginer que tout le volet aventure prend forme dans l'esprit du garçon, comme l'illustre la transformation de son épée et de son bouclier en bois pour des versions en métal sertis de couleurs précieuses. Ou pas. L'auteur nous en laisse le choix. D'ailleurs, la structure atypique du récit invite beaucoup à diversifier les points de vue des Lecteurs, notamment avec peu de textes et donc beaucoup de non-dits.


Dans la première partie, notre narrateur passe d'un décor magnifique à un autre sans prêter attention à ce qui l'entoure. Ainsi, il ignore les fées qui en besoin d'eau de puits, la créature à la peau percées d'armes douloureusement enfoncées dans ses chaires, les petits trolls des montagnes ou encore les sinistres araignées aux dos lumineux rouges. Il va se retrouver dans une sorte de sanctuaire où ses émotions négatives ( la créatures noire à l’œil rouge lumineux) entourent une statue de sa maman. Sa colère éclate, qui se mute rapidement en pure tristesse. C'est à ce moment qu'il se pose la question qui le taraude: Est-ce que sa mère aimait être sa mère? Est-ce qu'elle l'aimait? Était-elle heureuse? Viennent alors des souvenirs heureux, où sa mère était présente, affectueuse et complice d'aventure. Il a ainsi la confirmation positive à sa question. La statue de sa mère prend alors vit et lui remet une sorte de cristal rouge lumineux.


Puis, l'aventure s'inverse, il refait le chemin vers sa maison. En route, il repassera dans ces différents mondes déjà explorés. Toutefois, son comportement change. Comme s'il était désormais dépositaire de la preuve de l'amour de sa maman ( incarné par ce cristal rouge), il fait alors preuve d'empathie et de courage pour sauver un troll des montagne, retirer les armes du dos de ce serpent de mer blessé, puiser de l'eau pour les fées et faire peur aux vilaines araignées qui se baladent près de sa maison. Il revient chez lui, replace son épée de bois où il l'avait plantée et rejoins son père. L'atmosphère a changé dans leur maison. Désormais, père et fil vont vivre avec le souvenir de cette femme tant aimée, avec espoir pour leur quotidien. Le garçon, au cours de son retour, a également trouvé les différents ingrédients de cette recette de cuisine que souhaitait réaliser son père. Cette même recette qui a engendré un éclat de colère désespéré de sa part et qu'il réalise maintenant avec son père. On boucle la boucle avec cette recette.


Je le précise ici parce que je fais partie des Lecteurs qui ne l'ont pas vu: Le titre est ce qu'on appelle un "Palindrome", soit un mot ou une phrase qui se lit dans les deux sens. Merci à Loup à Lunettes ( Babelio) de l'avoir signalé. Donc, "en route, je tourne" se lit dans les deux sens, tout comme notre personnage circule lui aussi dans un sens puis dans l'autre. Habile et original comme choix de titre, ce qui sied bien à un album tout aussi original dans sa forme.


Cet album peut avoir plusieurs niveaux de lecture. Voici celui que j'ai choisir de relever.


Survivre à un proche qu'on a aimé autant, c'est incroyablement difficile. Pour un enfant qui est encore en développement, ce l'est encore plus. Ici, il n'est pas question de guérir magiquement, mais bien de répondre à une inquiétude récurrente d'un enfant en deuil: Est-ce que mon parent m'aimait? On parle donc ici du lien d'attachement significatif qui relie un enfant avec sa figure d"attachement ( ici la maman). Pour avoir confiance en l'avenir, il doit apprendre la résilience et chaque enfant peut la développer à sa façon. Ici, notre personnage trouve son chemin dans la bienveillance envers les autres et également quand il donne une chance à son père de réaliser une recette que sa mère faisait. Je vois dans ce changement l'acceptation de l'enfant à ce que son papa joue désormais un nouveau rôle, qui va incorporer des éléments tenus autrefois par sa mère. Je vois également que l'imaginaire est aussi un terreau fertile pour aider l'enfant à comprendre un phénomène pas toujours simple à verbaliser. Bien sur, c'est une fiction, dans la vraie vie, le deuil est un long processus qui va et vient dans ses différentes phases, mais ce que j'aime de cette histoire est qu'on table sur la résilience, l'espoir et la sécurité affective.


Je constate aussi que l'album permet de mettre en relief une autre crainte des enfants: La disparition simple et nette de la personne décédé. Il est normal dans le développement neurologique d'un jeune de moins de 9 ans de ne pas comprendre la permanence de la mort, ainsi que son universalité. C'est compliqué d'expliquer que la personne n'existe plus, mais que son existence persiste dans nos souvenirs. C'est très abstrait tout ça. Ici, c'est une inquiétude de notre personnage, l'idée que sa maman n'existe plus du tout. Il comprend que l'amour de celle-ci va le suivre et cela lui redonne du courage pour l'avenir.


Enfin, je dénote l'utilisation du mot "vaillant" comme extension au mot "force". Ce que j'en comprend, avec la ligne "Son cœur devait être certain qu'aux plus profonds des bois il n'avait pas besoin d'être valeureux", c'est qu'il se donne le droit de pleurer sa maman, d'être triste. Qu'il n'a pas besoin de jouer "les garçon forts". Se donner le droit d'avoir du chagrin pour une personne aimée n'est malheureusement pas si encouragée, en particulier chez les garçons. Toutes ses conneries de mâlalphatisme le plus castrant pour les émotions ne rend nos garçons que plus insensibles et troublés qu'autre chose. Gérer ses émotions est plus salvateur et exigeant que l'incapacité d'y faire face. Et puis, du reste, être résilient est la plus grande forme de force chez l'humain, je trouve. C'est la preuve que malgré les obstacles, malgré les échecs et les peines, il y a moyen d'aller de l'avant, et ce, sans museler nos émotions, nos indispensables messagers.


Et bien sur, quel magnifique graphisme! C'est vraiment le genre que je retrouve dans la BD usuellement, avec toute sorte d'angles de cadrage, des décors généreux et un dynamisme fluide.


Un album atypique, sur un thème sensible, mais qui illustre le courage et la capacité de résilience des plus jeunes face à un des plus grands drames qui puisse leur arriver, le décès d'un parent aimé.



Pour un lectorat intermédiaire, 2e cycle primaire, 8-9 ans+


Shaynning

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