Fables paniques
6.1
Fables paniques

BD (divers) de Alejandro Jodorowsky (2017)

C'est comme pour Alan Moore. Jodorowsky. Quand on entre dans la grotte, on n’en sort pas, et c’est pour le mieux. Je le connaissais au théâtre, de par son analogue Opéra panique. Mais je l’ai d’abord découvert sous la casquette de réalisateur. The Holy Mountain et La Danse de la réalité m’apparaissent comme une traversée dialectique du dionysiaque au cosmos. The Holy Mountain était trop jargonneux et manquait de structure rigoureuse. Je ne refuse pas le cinéma d’essai, loin de là, mais ici c’était un mauvais juste milieu entre figuratif et expérimental.


Enfin bref, si je disserte sur son film, c’est que j’y ai retrouvé ces mêmes défauts. Jodorowsky déballe en bande dessinée un recueil de fables philosophiques intrinsèques au monde moderne : Zarathoustra redescend une nouvelle fois. De fait, il n’y a pas que des défauts, et il défait dans les subtilités de son univers fertile.


Il réclame d’abord sa singularité dans sa construction formelle. Plus fortuite qu’autre chose, il écrit en épisodique : il était publié dans les journaux. Ça rappelle les strips pulp d’Alex Raymond dans les années 30. Et ça façonne un rythme stimulant. Pas si singulier, en fait. Pas d’inquiétude, tout se joue ailleurs.


Comme énoncé avant, le livre est philosophique. Il s’en revendique et le clame à qui veut l’entendre. Pour ce faire, c’est le lieu d’une myriade de références intellectuelles semi-assumées. Leibniz, Baudrillard ou encore Spinoza : il s’exerce à l’érudition de ses fables. Il veut, par ce geste, l’ancrer dans un canon épistémologique. Il critique beaucoup mais répond surtout à des questions. Le personnage mystique est faire-valoir d’une science qu’il partage à ses élèves et à nous, a fortiori. Fables panique a l’artère contemporaine. Il regarde le monde comme une série de problématiques qu’il ridiculise. Jodorowsky est phénoménologue derrière ce ramassis métaphysique de grande forme, et que sais-je, il s’agit d’un auteur d’actualité transcendante. Il fait du présent et de ses questions un moment qui parlerait aux antiques et à ChatGPT. Il a métaphysiqué le phénomène, ce philobédéique.


Mais bon, les mots n’effacent pas les traits. Le devoir de mémoire de l’image. Et comment ne pas parler de sa dimension esthétique si prononcée. Son trait est faible, presque expérimental. C’est le véhicule d’une incursion surréaliste. D’aphorismes visualisés avant d’être lus. Son geste vulgarise le monde perçu. Avec ses dessins grotesques, il signe la traînée de l’onde du corps en mouvement. C’est un noble fait, pourtant c’est indigeste. Trop baroque, chargé en informations et en couleurs, le jeu de la subtilité n’est pas de son monde. Comme une relation réciproque des mots aux images, il veut enrichir les deux. Et c’est lourd, imbuvable, noyant. C’est le syndrome The Holy Mountain : son dionysiaque est trop difficilement canalisé, peut-être. En tout cas, il n’arrive pas à serrer le corset.


Pour clôturer, comme Warren Ellis et Transmetropolitan, Jodorowsky donne ses lettres de noblesse à la BD. Dans un monde sous emprise Marvel, il sait faire marge et philosopher un peu. C’est riche, difficilement appréhendable, mais c’est absorbant.

Ainsi parlait Jodorowsky.


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le 13 nov. 2025

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