Fire Punch
7.3
Fire Punch

Manga de Tatsuki Fujimoto (2016)

Si un jour je brûle d’une vengeance incommensurable, dans un monde en ruine, où ma colère est la seule lueur des opprimés… Si un jour je crée malgré moi un culte, où je mentirais à mes fidèles, et ferait souffrir abominablement les hérétiques… Ce jour-là plus rien n’aura d’importance… Les humains peuvent bien disparaître, la Terre peut bien être détruite, le système solaire oblitéré, rien ne s’arrête et ne s’arrêtera pour autant. L’existence est vaine et pourtant elle vaut le coup d’être vécu, même si ce n’est que pour voir le prochain Star Wars


Première œuvre conséquente du maintenant célébré Tatsuki Fujimoto, Fire Punch c’est un manga bourrés de thèmes qui sont chers à l’auteur, un objet d’analyse fascinant, en plus d’être bougrement divertissant.


Lors du début de ma lecture, je m’embrasait de cet univers apocalyptique, balayé par la neige éternelle, où l’être humain est transit, perdu, mais aussi évolué, avec des pouvoirs bien trop puissants pour leur petite personne. Le cadre est superbe, les personnages ont l’air attachant. Puis vient l’élément déclencheur, terrible, affreux, mais exaltant, la douleur si gargantuesque qu’on ne peut se l’imaginer.

Le décor est posé, Agni devient Fire Punch, puis le manga, déjà bien alléchant, devient génial. Différent chemin thématiques se dressent :

La spirale vengeresse, Agni voulant se venger de sa douleur physique et morale, mais qui ne trouvera malheureusement jamais de justice dans ses actions, seulement plus de douleur. Comme dans beaucoup d'œuvres que j’adore (The Last of Us 2, J’ai rencontré le Diable…), cette détermination revient plus à une malédiction. Obnubilé par cette lueur qui nous fait croire que tout ira mieux une fois la source de nos ennuis éliminée, où tout ce qui nous en éloigne est un obstacle à détruire, quitte à ce qu’il ne reste plus rien à la fin. Puis lorsque les représailles sont exécutées, le néant et la tristesse sont tout ce qui nous habite. La vengeance est une autodestruction, un suicide, Agni s’en sert d’ailleurs d’excuse pour mourir, car la douleur constante qu’il ressent, il l’endure dans l’espoir de rendre une justice illusoire. En bref, il se ment à lui-même.


Le mensonge et la religion, lors de son périple, Agni devient malgré lui, le seigneur des opprimés, celui qui exterminera les méchants et qui sauvera le monde de l’ère glaciaire. Fire Punch nous questionne sur nos croyances, et réalise une critique peut-être un peu simpliste de la religion. Le culte de cette divinité sortie de nulle part, qui certe a des pouvoirs, mais les utilise principalement pour détruire plutôt que pour sauver, revient à caractériser les religions comme un mouvement alimenté par les faibles de peur d’une punition divine, et espérant une salvation illusoire. Même si je trouve ça assez limité, ce qui m’intéresse ici, c’est le propos sur le mensonge. Cette religion, c’est de la poudre aux yeux, une excuse pour ne pas se battre soi-même. Et cette thématique du mensonge traverse toute l'œuvre. Togata qui ment sur son sexe, amenant un questionnement très intéressant sur la transidentité. Mais surtout Agni qui se ment à lui-même, pour commencer avec sa vengeance qui ne mènera à rien, puis avec Judah qu’il fait passer pour sa sœur, pour éteindre sa douleur et sa haine. Le manga essaye de nous faire comprendre que le mensonge peut souvent avoir l’air bénéfique, peut permettre de se sentir mieux, mais reste malgré tout odieux et éphémère. Plus facile de blâmer la vérité qui elle n’amène que des problèmes et détruit cette illusion.


Le cinéma et la place du héros, tout le monde le sait, Fujimoto est cinéphile. Ça se ressent dans toutes ses œuvres, le découpage est tel un story board, les cases sont des plans de caméras, signifiants et ludiques. Fire Punch pourrait très bien être un film de super-héros, un post-apo, ou un drame. Cet amour du cinéma revient de nombreuses fois dans le manga, en particulier par le personnage de Togata, personnification de l’auteur lui-même. Fan de cinéma frustré, qui a envie de raconter ses propres histoires avec les moyens du bord. Iel joue à Dieu en transformant le personnage torturé d’Agni en héros vengeur et salvateur. La position du protagoniste constamment mis à mal par son rôle non voulu est également une brillante idée assez méta. Fire Punch n’a jamais voulu être le héros d’une quelconque histoire et ne sait pas comment réagir à son propre destin. Togata tout comme Fujimoto sont fascinés par les notions de héros / anti-héros et vont tout faire pour maintenir cette instabilité et ainsi être réalisateur, scénariste, acteur et spectateur de leur propre création.


Nihilisme optimiste, ce thème est plus nébuleux mais c’est ce qui me reste de plus tenace après ma lecture. Suite à la vengeance douloureuse, les mensonges illusoires, et le héros malgré lui, que nous reste t-il ? Une histoire ? Un divertissement ? Un moyen d’oublier notre existence ? Là je pars peut-être dans la surinterprétation, mais selon moi tout le manga nous parle du manque de conséquence, de vacuité plus précisément. Togata, Agni, Judah, tous ont des objectifs vains, mais la nuance, c’est qu’avec le concept d’immortalité dont certains sont dotés, plus ils ont vécu, plus le constat paraît évident : on ne va nulle part. Peu importe nos actes, nos sacrifices, la Terre disparaîtra, le système solaire, la galaxie, l’univers, tout se terminera, et ce ne sont pas nos bêtises humaines qui changeront cette inévitabilité… Alors c’est quoi la morale ? On attend de mourir dans un coin en comptant les secondes nous rapprochant de la fin ?

Non. Fire Punch au contraire nous dit de vivre pleinement, profiter de ce qui nous fait plaisir, faire le bien autour de soi, aimer et être aimé, justement parce qu’il n’y a rien après, justement parce que tout à une fin, il faut faire prospérer cette existence vaine.

La fin est d’ailleurs assez explicite sur la question, avec le personnage de Judah qui attend la fin dans son arbre qui vit sans trop savoir pourquoi pendant des centaines de milliers d’année, mais qui continue car elle a une mission, et ce n’est que lorsque Agni / Sun la rejoint qu’ils peuvent enfin vivre pour de vrai avant de s’éteindre.

Ce sursaut d'existence est primordial, car je le ressens aussi à ma manière à chaque fois que je vois un film qui me marque, une lecture qui me fait pleurer. Ça ne changera pas le monde mais ça me fait vivre moi et c’est tout ce qui compte.



Fire Punch n’est pas forcément accessible pour tous, tout n’y est pas spécialement intelligent. L’auteur peut paraître un peu prétentieux parfois, et certains moments ne sont pas très clairs. Mais c’est une œuvre qui raconte des choses, partage et questionne sur nombre de sujets variés. Si c’est mal fait ça peut vite être pompeux ou élitiste, mais de mon côté j’ai adoré ma lecture. 8 tomes qui transmettent autant de choses, ça m’a transporté. Je le relirais encore et encore, car qu’est ce qu’un manga dans une existence ? Il faut bien vivre !

Valnight
8
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le 31 oct. 2023

Critique lue 15 fois

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Valnight

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