Incontournable Webtoon Octobre 2024
Ma collègue libraire BD m'a fait part de cette trouvaille, connaissant mon absolu dédain pour la glamourisation/glorification des hommes toxiques dans les romances et je dois dire qu'elle ne s'est pas trompée. En effet, ce webtoon sud-coréen, "Geu Aknyeoreul Josimhaseyo!", dont je déplore le nom en anglais malgré sa langue française, articule à travers l'antagoniste féminine toute sorte de réflexions autour de ces imbéciles à belle gueule aussi égoïstes qu'immatures qui pensent que la manipulation et la domination sont acceptables envers leur prospecte amoureuse.
Mélissa Podrat est une jeune femme issue de la noblesse et fiancée à l'héritier du pays, mais la brunette au caractère affirmé tient aussi le rôle que tout le monde craint et/ou déteste. Qu'à cela ne tienne, c'est maintenant une jeune femme coréenne réincarnée dans ce personnage qui tient les rênes désormais. Sans totalement se départir de certains traits du personnages, la nouvelle Mélissa possède une vision du monde moderne, en plus de connaitre le roman dans lequel elle vient de tomber. Ce dernier est un Harlequin tout ce qui il y a de plus guimauve, avec non pas un prétendant, mais bien quatre! Le beau prince héritier qui séduit tout ce qui bouge, le ténébreux tireur d'élite froid et arrogant, le sexy loup-garou rustre et impulsif et enfin, le milliardaire égomaniaque à qui 'Non" n'est pas une réponse possible. Que des hommes toxiques comme on en fait énormément en romance actuelle. Et ces quatre gros ploucs pseudo-romantiques sont bien sur amoureux ( plutôt passionnés) de la même fille, la blonde et ingénue Yuri, celle-là même qu'on peut admirer sur la couverture derrière Mélissa. Donc, selon la logique foireuse du roman dégoulinant de mièvrerie, Mélissa doit finir délaissée et amère, tandis que la nouvelle héritière de famille noble jongle avec quatre prétendants. Mais vous vous en doutez avec le titre, ce n'est pas ce qui va arriver.
Il y a toute sorte d'élément que j'aime beaucoup dans le personnage de Mélissa. Dans un premier temps, elle est réellement imperméable aux belles gueules, ça fait du bien à voir. On la voit peu à peu dire les quatre vérités à ces messieurs. Dans ce tome 1, il est surtout question de deux d'entre eux: Son fiancé, le prince, qui la trompe sans la moindre gêne et même devant elle, quelques fois. On ne comprend pas bien pourquoi il est si insouciant face à elle, mais le livre semble laissé entendre qu'elle ne s'en est tout simplement jamais plaint. Il est toutefois vrai que règle générale, la triche relationnelle est tolérée chez les hommes, au contraire des femmes, mais en Corée, ça va même plus loin. On accuse les femmes victimes d'adultère de ne "pas avoir suffisamment prit soin de leur mari" et on accusera aussi la "briseuse de ménage" qui a encouragé l'homme à tromper sa femme. Incroyable, mais vrai, on a donc une culture qui victimise les hommes volages et les tricheurs relationnels, masculins. L'autre personnage est le frère de Mélissa, le tireur arrogant et froid, qui est une peste avec sa sœur et se montre paternaliste envers elle. Ce couillon aux cheveux blancs est le meilleur ami du prince coureur-de-jupons, ce qui rend la situation encore plus inconfortable pour Mélissa. Ce personnage incarne le frère qui a droit de tout faire, alors que sa sœur, pourtant l'ainée, est contrainte à une vie de contraintes.
En second temps, Mélissa cherche réellement à être maitresse de sa nouvelle vie. Elle tente de rompre ses fiançailles avec le Don Juan princier, même si ce dernier semble rejeter complètement l'idée, tente de comprendre sa situation plutôt que de la subir et globalement, cherche l'indépendance. Pour ce faire, elle doit prendre sa place, notamment auprès de son père, moins inaccessible qu'il ne le semble. Elle cherche à se défaire de l’inégalité qui existe entre elle et son frère, également. Dans le tome 1, c'est encore embryonnaire, mais l'essence de son histoire est là: Elle incarne un nouveau genre de "Vilaine", elle contrevient aux attentes attendues d'une fille noble, elle ne cherche pas à vivre à travers le regard d'un homme et même, a de l'empathie pour la protagoniste. Elle bouscule les conventions attendues d'une "méchante", tout en gardant certains traits, en somme. Et ça la rend délicieuse à souhait!
Tout au contraire, les personnages masculins amoureux sont certes physiquement "esthétiques" ( pas selon mes goûts, ce genre de bellâtre ne m'attire pas beaucoup), mais ce sont des cons. Chaque ligne ou presque est soit culcul, soit chiante. Ils sont suffisants, impolis, complètement perdus quand on leur dit "non", ils sont en un mot: Pathétiques. Enfin un livre honnête sur le sujet!
Je le précise, mais le personnage aux cheveux bleus de la couverture n'apparait que dans les toutes dernières pages, alors que je ne sais pas trop pourquoi il est sur la couverture.
Je reconnais chez l'archétype du personnage de Mélissa ces critères qu'on aime bien mettre sur les antagonistes féminine. Déjà, la couleur brune de ses cheveux est un indicateur, parce que les blondes, en particulier dans les contes, sont souvent les protagonistes. Il faut donc pouvoir distinguer la pureté angélique incarné par la blondeur de la laideur foncée, en l’occurrence les cheveux bruns. Même Disney a longtemps joué cette carte: Combien de princesses sont brunes en comparaison des rouquines et des blondinettes? Personnellement, je trouve Mélissa bien plus jolie que Yuri, même si leur visage se ressemble, peut-être à cause de son visage sérieux et ses yeux de chat. Surtout, c'est sur le plan de la personnalité que tranche le rôle de nos deux femmes. Tandis que Yuri est dépeinte comme timide, douce et ingénue, Mélissa incarne le caractère affirmé, la jalousie et un certaine dépendance affective. C'est en effet un personnage qui veut être aimée, mais comme elle n'incarne pas suffisamment les idéaux masculins en terme de femme, plutôt être la rivale qui fait contraste à la faveur de l'héroïne.
Je me rappel un nombre astronomique de romans, Bb ou mangas et films dépeindre des personnages féminins intelligentes, affirmées et relativement indépendantes comme des "perdantes", des "ratées". Au contraire, combien de fictions ai-je lu ou vue qui loue la fille cruche, docile et soumise? Beaucoup trop. La raison majeure qui explique le sexisme littéraire et qu'on implique des modèles de personnages inégaux et machistes. D'ailleurs, le contraire est aussi vrai: Combien de personnages masculins sensibles, loyaux et respectueux ont été dépeint comme de vrais loosers? Beaucoup trop. Au contraire, les dominants, imbéciles et caractériels immatures sont souvent considérés comme de sexy prospects amoureux. Quelle ironie. Dans ce webtoon, les personnages ont ce genre de profil, mais la différence est qu'on les questionne, on les bouscules et même, on les dénonce. Mélissa endosse son côté machiavélique et entreprenant, mais pas pour nuire à l'héroïne, pour s'affranchir de son rôle face aux quatre couillons de service. Ça fait vraiment plaisir à voir.
D'ailleurs, ici, on table surtout sur une veille conception de la romance, à savoir le délire passionnel. Les hommes qui disent "aimer" Yuri, ne sont en réalité que séduit par son physique. Il n'y a donc pas d'amour dans ce genre d'état. Ses hommes sont pas intéressés par ce qui fait de Yuri la jeune femme qu'elle est, ne s'intéressent pas à ce qui la rend heureuse ou ce qu'elle aspire à faire de sa vie. C'est juste un béguin irrationnel truffé d'hypocrisie et d'égoïsme passionnel, qui ne fait pas forcément ressortir le meilleur de ces messieurs. Je suis curieuse de savoir ce que Yuri pense de ces bellâtres, d'ailleurs.
Toutefois, sur la plan graphique, on voit le côté webtoon, avec des détails très statiques, une nature peu soignée, de nombreux imprimés pour donner un peu de détails et des expressions expédiées en mode "mignon" ou "démoniaque" nombreuses. Je préfère le travail soignée des mangas, surtout les mangas pour les adultes, où ce genre de procédé un peu paresseux ne sont plus utilisés. On m'a quand même expliqué que les webtoons sont poussés à un rythme de production très soutenu, mais ça parait, justement.
Pour avoir le lu le tome 2, les personnages s'étoffent davantage, le 3e homme toxique, le loup-garou apparait, et certains personnages secondaires prennent en espace dans le récit. Dans le tome 2, le cercle social de Mélissa se bâtit davantage et ses compétences s'affirment.
Bref, une sympathique incursion dans ce monde que d'ordinaire j'évite, parce que le trouve superficiel, archaïque et macho, pour proposer un nouveau genre d'antagoniste, qui cette fois, ne nuit pas au personnage féminin, mais aux salauds qui l'entoure. Réinventer la romance, c'est également repenser aux rôles de genre tout autant que la nature réelle du sentiment amoureux. Apprendre à s'aimer soi-même, du moins assez pour se respecter et se faire respecter, est un axe important de cette œuvre. En somme, c'est la fleuraison d'un personnage auquel on assiste, qui me semble même devenir "alliée", plus que "vilaine".
Pour un lectorat adolescent, 12 ans+.