Comme je m'y attendais, cette fin de cycle sonne davantage comme un album de transition, à l'image de L'Homme à l'étoile d'argent, que comme une véritable fin de cycle. Quid des enjeux ferroviaires ? Passés à la trappe, tout simplement. Certes, on ne lit pas Blueberry pour découvrir l'intégralité des conflits opposant la Central Pacific à l'Union Pacific, reste que les enjeux présentés au tout début du tome ont été un peu trop rapidement balayé à mon goût.


Cela dit, il faut bien que j'admette que si cela a été fait, ce fut pour le plus grand bien de la BD. Incorporé dans une 7ᵉ cavalerie, menée par un Allister fou, mais pourtant loin d'être caricatural quand on se penche un peu sur l'état d'esprit des généraux de l'armée américaine du XIXe siècle, Blueberry n'a jamais été autant pris en étau, victime des autres, mais aussi de lui-même. On pourrait palabrer sur les raisons qui expliquent pourquoi le protagoniste n'a pas laissé ce chien qu'est Allister se noyer dans l'eau glacé. Par idéalisme ? Respect de l'uniforme ? Une manière de rappeler, pour les auteurs, qu'en étant ce stratège connu pour son insubordination, que le Général Cluster, la figure derrière Allister, et Blueberry ne sont finalement pas tant différents que ça ? Peut-être qu'il était tout simplement impossible pour le duo Gir et Charlier que leur personnage laisse mourir quelqu'un, aussi immonde soit-il ?…

Dommage que la fin, dernier tome du cycle oblige, se montre, encore une fois, trop abrupte : Blueberry et Allister se disent au revoir, mais on se doute bien que les deux hommes n'en resteront pas là… quitte à ce qu'on doive patienter durant plus d'une dizaine d'albums pour le retrouver. Ce départ ne fait d'ailleurs que renforcer le côté dramatique du tome et du cycle concerné : ça ne se termine pas sur une victoire ni sur quelque chose de satisfaisant : Allister s'en tire à bon compte. La fin du premier cycle, c'était il y a seulement cinq tomes, et pourtant, on pourrait presque croire que des décennies séparent les deux tant la saga a gagné en maturité en si peu de temps.

Cette maturité, il faut la mettre en corrélation avec l'époque à laquelle a été conçue la BD. Publiées dans Pilote au mois de Mai 68, les dernières planches de La Piste des Sioux annonçaient un tournant dans la série, rentraient en adéquation avec l'une des volontés de la jeunesse de l'époque, celle de ne plus avoir à fermer les yeux, de pouvoir remettre en cause les soi-disant conflits héroïques menés par les occidentaux (le Vietnam) ou les différents héros qu'on nous vendait jusque-là (le Général de Gaulle). Général “Tête Jaune” s'inscrit dans cette continuité, cette mouvance, cette déconstruction, cette remise en cause des héros et idéaux… Diantre ?! Gir et Charlier étaient déjà wokes dans les années 60 ?!


Parlons du dessin (oui, je n'avais aucune idée de transition), les Black Hills enneigés sont aussi l'occasion pour Gir de nous proposer une nouvelle palette de couleurs… mais aussi de non-couleur (bah oui, parce que la neige, c'est blanc, j'ai remarqué ça l'autre jour). Plus sérieusement, il s'agit sans nul doute du tome dans lequel le dessinateur tente le plus de styliser ses cases. La blancheur ne fait que ressortir davantage les excès de folie des uns et les agressions des autres. Jamais la BD n'était arrivée à passer aussi rapidement du calme et de la tranquillité, à la dure violence de la réalité. Jamais le découpage et la mise en page n'a été aussi varié : les cases passant d'une forme à une autre, d'une dimension X à une dimension Y, tout en conservant la fluidité dans l'action. C'est toujours fascinant, en tant que lecteur, de voir un grand dessinateur, en l'occurrence Jean Giraud, évoluer d'albums en albums, montrer qu'il est sur le point d'atteindre le sommet, mais que ce sommet ne finit pas, qu'il est toujours possible de grimper, et de grimper encore.


Certes, ce Général “Tête Jaune” n'est pas parfait. Le format linéaire de la saga, cette nécessité de lire chaque tome à la suite si on veut comprendre l'histoire, renforce l'aspect émotionnel d'un côté, mais de l'autre, il peut se retourner contre elle comme c'est le cas ici, lorsque l'actualité se mêle à la création, que l'auteur dévie de son projet initiale. Reste qu'encore une fois, le duo d'auteur à sa tête propulse la série vers de nouveaux horizons… hâte de voir lesquels !

MacCAM
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le 13 mai 2025

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