Qui est un homme de goût, en tout cas hermétique au dégoût pudique des bels gens – ces masses organiques dispensables – ne pourra jamais accueillir un Shintaro Kago qu’avec joie et révérence. Sans vouloir frayer trop longtemps en sa compagnie, on se plaît toujours à renouer avec lui le temps d’un tome où y jaillit ses idées du moment, celles-ci toujours succulentes d’un assaisonnement bien de son cru.
En apôtre désigné de l'irrévérence malséante, je le tiens en tout cas pour tel au regard du palmarès, d'autant qu'il s'en vient ici égratigner la Bible. C’est pas bien courageux, encore moins depuis le Japon, espérons qu’il le fera alors à dessein plutôt qu’afin de choquer à pas cher. Car choquant, il le sera ; il s’appelle Shintaro Kago, dois-je vous le rappeler ?
Quoi qu’il ne le fut finalement pas tant que ça. L’absurde prit le pas sur le gore conceptuel, l’humour fut privilégié au reste et… ce ne fut pas franchement une grosse poilade. Le comique de répétition, pourtant accompli durant un chapitre à peine, et pas si long que ça d’ailleurs, aura tôt fait de vous ennuyer. On aurait aimé à se rire de cette gradation dans l’absurde, mais le rendu fut si bancal que les rires se tarirent bien assez tôt.
« J’aurais pu écrire ça », fut un commentaire que je m’adressai une fois la dernière page tournée. Or, c’est encore l’imagination sordide et prolifique de l’auteur qui m’a amené à me faire si souvent l’un de ses heureux laudateurs. Je n’ai rien retrouvé de cela ici. Shintaro Kago, ça n’est pas que du gore et de l’humour noir, c’est avant tout des idées neuves et prodigieuses dont on se plaît à découvrir les efforts scénographiques.
Qu’on se le dise, l’effort commis ici était de bien moindre ampleur comparativement à ce que ses élans créatifs ont autrefois fait jaillir. Je n’irais pas jusqu’à écrire que l’entreprise était fainéante ; on ne m’empêchera pas cependant de le penser. Ce chapitre, sorti comme un pet dans la bibliographie de son auteur, était alors aussi inspiré que la flatulence intempestive.
Oui, c’était une œuvre intempestive, le caprice d’un instant qu’il se sentit d’accoucher sur les pages parce que ça l’avait fait rire sur le moment. Puis, passée la rigolade, il ne resta que le silence ou le bruit froid de ses crayons sur le papier. L’œuvre, déjà bien éphémère, n’avait alors que peu de matière à exhiber, celle-là étant d’ailleurs de piètre inspiration.
Parce que je n’en ai pas retiré un rire ou une idée propre, à ne voir là qu’un minable condensé graveleux à pas cher, j’aurai esquissé un sourire à peine entre mille soupirs.
L’œuvre de Kago est inégale, aussi n’est-il pas rare de tomber dans un creux de la courbe. Je m’y suis comme foulé la cheville le temps d’une lecture. De la modeste douleur, j’en retirai un sentiment amer à même de fonder ma note.
J’eus cette fois l’impression que Shintaro Kago ne dessinait plus pour créer, mais pour jouer les impertinents à défaut de réussir à l’être vraiment. Il nous avait habitué à mieux. À bien mieux.