Grand Blue avait tout de ce manga de sport où un personnage, étranger à la discipline présentée, apprenait à découvrir chaque facette de ce monde nouveau jusqu’à l’embrasser à pleine gueule. Ce que les personnages ont ici goulûment embrassé, ce sont des bouteilles de liqueur ; passionnément. Grand Blue est un manga sur la plongée qui, à chaque volume qui passe vous amène à vous demander «Mais… on a parlé de plongée ce tome-ci ?». La fibre du manga est humoristique, et c’est encore ça qui fait tenir le bousin.


La leçon du premier chapitre enseignée par Kotobuki «Tu n'iras pas loin si tu ne fais qu'essayer ce que tu sais faire» ne manque pas de pertinence, j'admets cela, mais dans le cas pratique qui nous est présenté, il est question d'un garçon qui ne sait pas nager à qui on propose de faire de la plongée sous-marine. Ce qui prévient le garçon en question de ne pas plonger, ne tient pas à un manque d'ambition ou à une paresse qui l'amènerait à rester dans sa zone de confort.... c'est le bon sens et son instinct de survie. Suffit pas de dire que n'importe qui est taillé pour n'importe quoi du moment que la volonté entre en compte. C'est très japonais comme façon de penser et ça laisse pas mal de monde sur le carreau à l'arrivée. Moi qui suis prosaïque - ou plus démissionnaire au regard des dogmes ici institués - je serais du genre à conseiller à un aveugle de ne jamais apprendre à conduire et à suggérer à ceux qui ne savent pas nager d'apprendre à nager avant de s'investir dans des activités nautiques.


Avant Grand Blue, j'avais déjà connu un manga où un personnage principal, réfractaire à l'idée de rentrer dans un club de sport, finit par céder pour une fille avant de se prendre au jeu. Il y était aussi question d'humour et de personnages hauts en couleur. En outre, on retrouvera même la trame très (trop ?) éculée des élèves les plus âgés qui, parce qu'ils devront investir chaque seconde de leur existence pour leurs études la prochaine année (Le Japon...), devront abandonner les activités de club. Tout ça pour dire que je ne tiens pas rigueur à Grand Blue d'appliquer à la lettre le schéma de Slam Dunk mais en près de 30 ans, le genre du nekketsu sportif pourrait tout de même se renouveler. En tout cas, la référence très assumée à Slam Dunk à compter du deuxième chapitre avec le gag «Je veux jouer au basket» permet de mieux passer le relais d'une œuvre à l'autre. D'autant que Grand Blue, s'il se complaît dans la banalité et la facilité pour introduire son récit, bifurque rapidement vers une voie qui lui est propre.


On baigne plus volontiers dans l'alcool que dans le mer au fil du récit. Aussi, le socle sur lequel repose l'œuvre en premier lieu n'est finalement pas ce qui compose sa thématique - à savoir la plongée - mais la comédie ambiante qui a imprégné Grand Blue au point d'être le cœur nucléaire du manga. À un point où l’intrigue n’abordera la plongée uniquement à compter du quatrième chapitre. À ce titre, critiquer Grand Blue comme il se doit, fatalement, impliquera de parler de ses nombreuses et perpétuelles saillies drolatiques. L'humour ici porte la marque d'une époque. Les gags, leur scénographie, tout me rappelle un peu les mangas et anime de cette période de la moitié des années 2010. Il y a eu un courant humoristique durant cette période, personne ne se sera risqué à le nommer, mais les gags avaient tous une parenté commune à en juger par l'agencement de ces derniers. S'il y avait de l'ecchi ? Il y en avait. Des sous-entendus à caractère sexuel qui savaient s'arrêter là où il fait, oui, ça aussi. Et tout ça, sans compter un sens de la roublardise chez les personnages dont le vice dans l'humour prenait le pas sur le burlesque qui était jadis privilégié par d'autres auteurs. C'est un humour plus mature mais pas plus graveleux pour autant. Là où beaucoup trop d'auteurs s'appuyant sur l'humour avaient recours à des gags qui, à l'usure, devenaient franchement infantilisants, la légèreté de ton, ici, si elle n'est pas non plus adulte, est quelque peu adolescente dans la manière dont elle dispense ses extravagances.


C'est un humour qui plaira je pense à beaucoup de lycée. Mais cet humour, il aura maintes fois peiné à me titiller les zygomatiques. Je ne suis pas bon client des drôleries adolescentes. Il y a, je pense, un humour japonais authentique dont la fibre constitutive tient à l'absurdité et au caractère expansif de cette dernière. Un Gintama, un Bobobo-Bo-Bo-Bobo ou un Pyû To Fuku Jaguar participent à cet humour. Grand Blue, pour ce qui est du rire, se rapporte plus à de la gauloiserie bien mise en scène qui, si elle ne se vautre pas dans la beaufferie, gravite néanmoins autour de ce registre et s'en émancipe de peu, avec un très feint soupçon de subtilité dans la gaudriole. Si je ne suis pas preneur cependant, beaucoup se plairont à rire sans réserve devant la succession des gags qui ont rythmé jusqu'au moindre chapitre de Grand Blue au point de faire le sel de l'œuvre. Je puis vous assurer sans peine que sans cet humour, la note attribuée aurait été divisée par trois et arrondie à l'unité inférieure.

Les blagues sur la thématique où les amis s'entretuent pour des histoires de gonzesse m'auront par moments rappelé les grandes heures de Shônan Junaï Gumi. Et à ça, j’adresse un «oui» sans réserve, naturellement ponctué du rire qui se doit de suivre.


Les personnages principaux, à peine présentés, m'apparaissaient déjà communs et quelconques. Me serais-je arrêté au premier chapitre que j'aurais été jusqu'à asséner qu'ils dissimulaient le néant existentiel de leur caractère derrière les outrances et les extravagances. Mais, sans me mentir à moi-même, je dois bien admettre qu'ils ont ce charme diffus et naturellement brossé du bout du pinceau. Celui qui veut que l'on se plaît à les voir en scène sans que ceux-ci aient pour autant une personnalité remarquablement écrite. Dans l'ensemble, les personnages sont assez pauvres, mais ils ont tous un léger petit "plus" qui leur permet de surpasser les lignes dont il sont constitués.


Le dessin multiplie les grimaces - humour oblige - et se veut outrageusement expressif. Ça peut fatiguer les nerfs par moments ; l'équilibre entre le sérieux et l'humour est parfois bancal, penchant excessivement en faveur du second, un peu comme une plaisanterie qui, si elle était très drôle au début, aura usé de son ressort comique à force qu'on l'étire. Trop point n'en faut, l'humour devient vite envahissant et le dessin, en auxiliaire, contribue à le tapisser partout au point de cerner jusqu'à la moindre case.


Mais ce dessin, quand il ne sert pas les gags, est à mi-chemin entre ce style glacial, épuré et aseptisé et un genre autrement plus soigné. J'y ai retrouvé du Air Gear plus propret pour ce qui est des esquisses ; un style qui me laisse partagé, qui ne parvient ni à me satisfaire et encore moins à m'en détourner. Pour ne prendre aucun risque, je me risquerai à une désignation bateau pour dire que «c'est au-dessus de la moyenne». Le style est cependant bâtard, perdu entre les traits modernes du manga contemporain dont je ne vomirai jamais assez chaque coup de crayon, et une envie irrésistible de l'auteur de donner du caractère à chaque parcelle de son œuvre sans jamais franchir le pas entièrement. En tout cas, les personnages féminins y sont présentés bien platement, autant pour ce qui est de leur représentation que de leur écriture. Pire encore, les expressions des personnages s'affadissent après une quinzaine de chapitres. Le visage de Kotobuki qui avait du caractère et du détail n'est plus qu'un ramassis de traits simplistes passé les trois premiers volumes. On revient parfois aux fondamentaux graphiquement parlant, mais trop rarement.


Je me plais à croire que Grand Blue s'accepte comme le préquel des Gouttes de Dieu ; un périple initiatique durant lequel le personnage principal se serait essayé à tous les alcools pour affiner son palais. Parce qu'il faut qu'on le dise... les personnages sont plus susceptibles de se noyer dans les verres qu'ils descendent à raison de treize à la douzaine à chaque chapitre que dans l'océan.


Bouffonneries mises de côté, je puis vous assurer que la méthode employée pour empêcher Iori d'avoir peur de l'eau est dysfonctionnelle à souhait. Moi-même ayant une peur panique lorsque je n'ai pas pied, ayant même des angoisses lorsque je vois des fonds marins dans les films, je puis vous assurer qu'on ne guérit pas d'une pareille phobie en faisant les cons à la piscine et en allant à l'aquarium. L'intention de l'auteur est louable alors qu'il convie chacun au milieu de la plongée, mais, au risque d'insister : tout n'est pas qu'une simple affaire de volonté.

L'auteur se sera tout de même rappelé, après trente chapitre, que le couple informel au sein des personnages principaux était composé de deux cousins. Il aura fallu nous rappeler - au dernier moment - que les deux n'étaient opportunément pas lié par le sang. C'est à se demander pourquoi ils étaient présentés comme cousins en premier lieu.


Passé l'humour - qui m'aura fait rire plus d'une fois bien que le registre ne soit pas nécessairement celui que j'affectionne le plus - il y a peu à se mettre sous la dent. Et c'est peut-être tant mieux. Mieux vaut complètement occulter la plongée sous-marine pour se concentrer sur un point fort. Car ici, il est autant question de plongée dans Grand Blue que de musique dans Pyû to Fuku Jaguar ; c'est un prétexte qui revient parfois, mais il fait place nette à la comédie.


C'est un de ces mangas sans prise de tête et sans prétention qui vous font passer un agréable moment, mais dont les souvenirs de lecture s'évaporent dans l'instant où vous aurez lâché le dernier volume relié.


Puis, les histoires d'amour s'incrustent. Elles sont pas simplement présentes - on s'en accommoderait en filigrane - mais elles bouffent la substance de Grand Blue à force de croître dans l'intrigue comme des métastases. Et la substance de Grand Blue, c'est l'humour. Or, un manga reposant trop souvent sur une trame sentimentale, où les personnages m'intéressent très modérément pour la plupart et où je ne rigole plus révèle ses effets purgatifs bien assez tôt. Ça se rattrape toujours, mais les chutes libres qui s'occasionnent entre les rebonds mettent trop souvent le cœur au bord des lèvres.

Passé le tome 5, il n'y avait que quelques rares frasques de Kohei et le club des 6 amis de l'université qui me faisaient rire et c’est à déplorer.


En dépit de ses travers et de ses carences, Grand Blue est un manga humoristique auquel il faut s’essayer qui, nonobstant votre humour, trouvera tôt ou tard le moyen de viser dans le mille. Plutôt touche-à-tout, conventionnel sans être banal, le manga saura secouer la corde sensible de la plupart de ses lecteurs pour l’agripper et ne plus le laisser partir.

Ce n’est pas encensé une œuvre que de dire ça, simplement reconnaître une maîtrise du calcul éditorial : savoir jouer de tous ses atouts en espérant qu’au moins l’un d’eux puisse séduire. Cependant, n’importe quel lecteur échaudé au genre ne trouvera que bien peu de mérites à Grand Blue par-delà ses frasques humoristiques. Celles-ci, malgré tout, valent le détour et, en tout cas, que l’on s’essaye à la lecture. Il n’y a pas de piège, pas de fausses prétentions, le premier volume est une vitrine de ce que sera la suite du récit. Essayez-vous-y et avisez en conséquence afin de déterminer si la lecture en vaut la peine.


Josselin-B
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le 11 juil. 2022

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Josselin Bigaut

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