CRITIQUE DES TOMES 1 À 10


Il n'y a clairement pas 30 000 bons mangas de SF à chercher dans les rayons de librairies. AkiraBlameBiomegaEden It’s an endless worldDragon Ball (pour ses arcs SF), Trigun, Apple SeedGhost in the shellGantzPluto restent parmi les meilleurs. Et il y a Gunnm bien sûr. La première série de mangas parus de 1990 à 1995 était un chef d'œuvre de dystopie cyberpunk, violent, épique, drôle et émouvant. La seconde série Gunnm Last Order, publiée de 2000 à 2014, aura essuyé quelques critiques à cause d'un tournoi (le ZOTT) qui, dès le tome 5, se plaçait au centre des enjeux. L'intrigue n'en restait pas moins addictive et cohérente, ponctuée d'excellentes idées et de nombreux morceaux de bravoure (Gally se battant dans la Zalem dévastée, l'infiltration de Melchizedech, le flashback sur la vie de Calheula Sangwiss, le flashback de M'Badi face à sa nemesis sur Pluton, le final échevelé du ZOTT et l'épilogue sur Terre) et dans la droite lignée de la première série. En 1996, l'auteur Yukito Kishiro publiait un court manga dérivé se déroulant dans le même univers mais centré sur un joueur de Motorball, le très bon Ashman, puis il compilait en 2007 plusieurs de ses histoires indépendantes (déjà publiées dans les éditions Deluxe de Gunnm) dans le recueil Gunnm Other Stories. En 1998, Kishiro supervisait aussi au Japon un jeu vidéo pour PlayStation 2 intitulé Gunnm Mars Chronicle (difficilement trouvable dans nos contrées). Déjà à travers Gunnm et Gunnm Last Order, il nous avait donné plusieurs indices sur le passé martien de Gally (son amitié avec Erika, le mentorat de Gelda, sa formation parmi les kunstlers, son attentat sur Jeru, la condamnation de Yoko par l'Échelle). Aussi en 2014, dans la foulée de sa conclusion à Last Order, Kishiro s'inspirait du modèle de la prélogie de George Lucas pour nous raconter, à travers une nouvelle série de mangas (publiés dès 2016 par Glénat chez nous), l'enfance de Gally/Yoko sur Mars. Sans surprise, ce troisième manga fut intitulé Gunnm Mars Chronicle.


23ème siècle. Au lendemain d'un cataclysme sur Terre, l'humanité s'est étendue dans tout le système solaire. Mars est une des premières planètes colonisées et terraformées. Mais comme son nom l'évoque, l'astre rouge est sans cesse balayé par les conflits armés. Perdues au milieu des champs de batailles, deux petites orphelines tentent tant bien que mal de survivre. La plus grande s'appelle Erika. Borgne et humaine, elle n'a de cesse de veiller sur la seconde, la petite Yoko. Le corps cybernétisée, celle-ci est encore une gamine naïve et vulnérable, au visage poupon, très loin de la guerrière kunstler et, plus tard, de l'héroïne terrestre qu'elle deviendra. Durant leur périple, les deux gamines croiseront plusieurs figures redoutables et deviendront les témoins de l'horreur des conflits, de la vengeance et de la trahison. Plus de 200 ans plus tard, après les événements sur Jeru (dans Last Order), Gally a retrouvé la mémoire et erre seule sur Mars en quête des fantômes de son passé. Au milieu des étendues désolées, elle croisera la route d'Erika.


Ce qui frappe tout d'abord lorsqu'on feuillète les pages de Mars Chronicle, ce sont les illustrations. Ou du moins le style graphique qui s'avère relativement différent de celui de Gunnm et Last Order. Légèrement moins appliqué, le trait plus épais et les visages plus ronds, le style des dessins s'éloigne légèrement de celui, plus adulte, des deux premières séries, pour se rapprocher plutôt des dessins d'un Naoki Urasawa (MonsterPluto). Au point où l'on se demande s'il s'agit vraiment d'une évolution de style ou s'il s'agit tout simplement du travail d'un autre artiste que Yukito Kishiro (à savoir que Yukito Production se compose de trois artistes dont l'auteur lui-même, son frère et un assistant). Les dessins n'en restent pas moins de toute beauté et la mise en page parfaitement pensée, d'autant plus que Kishiro semble avoir retenu la leçon en réduisant considérablement le nombre d'annotations en bas de pages, une manie qui finissait par desservir la narration de Last Order. La beauté des paysages martiens, le look des personnages, les poses iconiques des guerriers kunstlers, tout a été remarquablement travaillé. Et on comprend donc que le rythme de parution soit si espacé entre chaque volume (une seule parution par an) même si l'épaisseur relativement mince des volumes (en comparaison avec celle de mangas standard) a, semble-t-il, été la cible de critiques négatives (la critique étant toujours facile, avouons-le, les mécontents n'ont qu'à imaginer et dessiner leur propre manga).


L'histoire maintenant. C'est du lourd. C'est du très lourd. Au premier abord, et au regard de la "gentillesse" toute mimi des couvertures des tomes, le fan pur et dur de SF pourra avoir quelques réticences à plonger dans le manga. En effet, le côté enfantin et très coloré des couvertures a de quoi faire fuir les admirateurs de Gunnm. Il s'agit pourtant d'un leurre conçu pour contraster avec la cruauté du contenu de l'intrigue. Car ironiquement, les couvertures conçues par Kishiro vont à contre-sens de la noirceur de l'histoire qu'elles renferment. Car oui, Gunnm Mars Chronicle n'a rien d'un mignon petit shonen. C'est une épopée bourrée de cruauté, d'enfants martyrs, de personnages monstrueux et d'effusions gores. Par moments bien plus horrifique que ne l'étaient Gunnm et Last OrderMars Chronicle nous donne à contempler des visions parfois abjectes et dignes d'un Junji Ito (voir le mal dont son affligés Munster et l'impératrice de Cydonia). Les personnages eux-mêmes sont pour la plupart très ambivalents. Si les méchants que sont Munster et le professeur Ngema semblent annoncer à eux-seuls la monstruosité de Nova, les figures plus héroïques n'en sont pas moins douteuses, entre un kunstler, Cuan, au demeurant très charismatique mais peu empathique et un chasseur de primes, Das, en mode rédemption tardive. Erika elle-même nous est rapidement présentée comme une enfant foncièrement calculatrice, prenant pour modèle la figure de son diabolique mentor Munster, et apprenant à survivre grâce à son machiavélisme. Quant à Yoko, elle reste relativement secondaire et passive durant le premier arc, ballotée par les événements et protégée par Erika qui la considère moins comme une petite soeur que comme une poupée qui lui appartient.


Survient alors la révélation sur l'origine de Yoko et l'explication de son corps mécanique. Balancée au détour d'un dialogue dans le tome 5, puis clarifiée dans le tome 6, cette révélation a de quoi nous faire voir l'héroïne sous un autre jour, et sa quête d'humanité (au centre de Gunnm et Last Order) prend alors un sens plus littéral.


Les personnages entièrement positifs sont rares dans Mars Chronicle, et s'il y en a, ils ne survivent pas longtemps. On peut penser à Finch au début, que l’on perd de vue ensuite, puis à Gelda. Pour l'instant cette dernière, très secondaire, semble être un modèle parfaitement héroïque, annonçant à elle-seule la valeureuse Gally de Gunnm. Car le manga tout entier fait la part belle aux conflits guerriers et aux manigances politiques. Kishiro a voulu concentrer ici toute l'horreur de la guerre sous les yeux de deux gamines qui elles-mêmes deviendront parmi les plus redoutables combattantes. C'est une critique de l'absurdité humaine où la vie n'a que peu de valeur, où les enfants sont les premières victimes, et où tout un monde rouge reste encore à conquérir. Plus de 200 ans après, l'héroïne revient sur ses premiers pas, sur une planète toujours en guerre. Fort de ses propres batailles et de ce que lui ont enseigné ses différents adversaires (Makaku, Jashugan, Den, Nova, Sangwiss), Gally parviendra-t-elle à faire la différence face à sa nemesis ultime, Erika ? Une chose est sûre, Gunnm Mars Chronicle s'avère être un manga ambitieux, qui devrait logiquement aboutir à une double conclusion, celle du périple d'une Gally adulte revenue chez elle, et, dans sa partie préquelle, à la condamnation de Yoko sur Jeru et à sa chute dans l'atmosphère terrestre. Histoire de raccrocher les segments d'une trajectoire narrative entamée il y a déjà 35 ans, lorsqu'un certain Ido trouvait dans une décharge les restes d'une cyborg profondément endormie.

Buddy_Noone
8
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le 4 mai 2025

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