Hard Boiled
7.3
Hard Boiled

Comics de Frank Miller et Geof Darrow (1990)

Nixon est un collecteur d'impôts un peu particulier. Il est du genre à taquiner facilement la gâchette si l'on fuit un contrôle. Preuve en est, lors d'un bel après-midi pollué, il se retrouve à canarder le conducteur d'une voiture folle tout en lui rappelant qu'il n'a pas payé ses impôts. Le carnage qu'il provoque en plein centre d'une mégapole surpeuplée finit par alerter les dirigeants de l'entreprise Willeford qui réalisent alors que leur "unité 4" est devenue folle. Après avoir encaissé l'explosion du véhicule de son adversaire, Nixon s'effondre à terre, ressemblant plus à une carcasse de circuits mécaniques qu'à un homme de chair et de sang. Rapatrié dans les locaux de Willeford puis reprogrammé, il finit enfin par se réveiller chez lui, auprès de sa femme et de ses enfants. Il s'appelle Carl Seltz et il est enquêteur pour une compagnie d'assurances. Il est marié à une femme superbe, a deux enfants adorables et habite un charmant pavillon en zone résidentielle. C'est un homme heureux et comblé qui quitte ce matin-là sa famille pour se rendre à son travail...


Inutile d'en raconter plus pour vous convaincre que l'intrigue de Hard Boiled s'inspire évidemment beaucoup des préoccupations de l'écrivain Philip K.Dick. On décèle en effet dans le postulat de cette nouvelle graphique pas mal de points en commun avec les récits empreints de paranoïa de l'auteur, comme La fourmi électrique, L'imposteur ou encore Souvenirs à vendre, dans laquelle un parfait quidam voyait sa vie voler en éclat quand il découvrait qu'il était un espion et tueur de surcroît, dont la mémoire, trop dangereuse, avait été effacée à la suite d'une mission meurtrière sur Mars. Le fait que Nixon/Carl semble être une authentique machine à tuer dont la programmation ne fait qu'échouer, renforce d'autant plus la comparaison avec l'oeuvre de Dick qui ne cessait de disserter sur les notions de réalité et d'humanité truquées. Ultime clin d'oeil à l'auteur d'Ubik, le comics de Miller et Darrow est paru en 1990, alors même que Total Recall venait de remporter un énorme succès dans les salles.


Mais les emprunts à Dick se limiteront tout juste à nourrir le postulat de l'intrigue développée par Miller. Car il faut bien avouer que celle-ci est des plus minimaliste et tend à alterner séquences d'action furibardes et brèves accalmies faussement utopiques, sans jamais approfondir le background de cette société dystopique. Menant son récit à un rythme furieusement débridé, Miller peaufine ici surtout la narration séquentielle et se met au service de son dessinateur dans le but évident de lui permettre d'aligner les planches les plus folles. Ainsi, Hard Boiled s'apprécie un peu moins pour son histoire que pour les formidables illustrations de Geof Darrow qui livre ici un travail tout aussi dingue qu'admirable. Résultant d'un travail de titan, chacune de ses planches déborde de couleurs et de détails remarquables, au point qu'il devient rapidement nécessaire de "s'arrêter" sur chaque page pour en apprécier toute la folie créative. Le trait à la fois aérien et inégal du dessinateur, et son sens de la démesure, ne font qu'ajouter à l'impression de joyeux bazar foutraque qui se dégage de l'ensemble, d'autant que Darrow sait comme personne illustrer une scène d'action, les péripéties de Nixon se suivant comme on regarderait celle d'un héros d'actioner à l'écran. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Darrow se chargera neuf ans plus tard des storyboards et des dessins conceptuels du film Matrix.


Mais le talent de Darrow ne peut tout de même pas occulter la présence de son légendaire scénariste. Car il y a aussi beaucoup de Miller dans Hard Boiled : cette overdose de violence gratuite, de véhicules fracassés, de situations improbables et de cyborgs déjantés. Ici, les quidams s'affrontent à mort au milieu d'une avenue surpeuplée, les véhicules se transforment en monstres mécaniques lancés à toute berzingue, les enfants sont des espions censés droguer leur père, et les grand-mères sont en fait moins affables et plus bad-ass qu'elles n'en ont l'air. Nixon ne devait être qu'un robot insoupçonnable, jouant les parfaits citoyens lambdas. Il deviendra incontrôlable, influencé par la folie ambiante d'une mégapole oppressante. Mieux encore que la sage influence de Dick, on trouve ici en fait toute la synthèse des cauchemars urbains de l'auteur de The Dark Knight Returns, Sin City et Robocop 2. Et ça, c'est un pied monumental !

Buddy_Noone
8
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le 26 mars 2020

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Buddy_Noone

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