Vous présentez bien Appleby. Ils aiment les officiers comme vous qui présentent bien, à Washington. Alors vous voulez savoir pourquoi vous êtes bloqué ici, avec moi ? Parce que vous ne savez pas la fermer ! Ce n’est pas très malin de contredire votre officier supérieur, Appleby ! C’est bien beau d’être charmant, mais ça ne sert à rien si on n’a pas de jugeote, Appleby.
Marshal Bass en perte d'inspiration
Marshal Bass, tome 10 : Hell Paso, dixième volet des aventures du marshal River Bass publié aux Éditions Delcourt, vient conclure le diptyque amorcé dans le tome 9 : Texas Rangers. Une suite qui, sur le papier, promettait beaucoup tant le tome précédent laissait présager du bon, mais qui, hélas, laisse au final un triste goût d’inachevé. L’histoire reprend quelque temps après les événements de Texas Rangers, et non immédiatement après, ce qui surprend tant la conclusion du tome 9 appelait une continuité directe. Bass, encore hanté par son duel nocturne dans la boue contre le capitaine Dexter Miller, reçoit la visite de Hare, venu lui demander son aide pour libérer la bande de Texas Rangers à laquelle il appartient. River refuse d’abord, ce qui est logique, jusqu’à ce que Hare lui révèle que le colonel Helena est lui aussi piégé avec eux. Alors seulement, il enfourche son cheval et prend la route d’Hell Paso, cité ravagée par la peste et mise en quarantaine par l’armée. Sur place, Bass découvre une ville coupée du monde, dirigée d’une main de fer par le major Penn, véritable illuminé transformant la cité en purgatoire à coups de canon. Il n’hésite pas à attacher un homme à l’arme pour mieux l’exploser à bout portant. Une image d’une folie militaire dingue à l'image du lieu. Et pour couronner le tout, il refuse obstinément d’accorder le passage de sortie au colonel Helena, à l'intérieur de la ville pour enterrer sa mère morte de la peste. Autant dire que tout semblait réuni pour livrer un western oppressant, fiévreux, et tendu à souhait. Pourtant, malgré ce décor d’apocalypse et la puissance symbolique du lieu, le scénario peine à trouver sa cohérence et son souffle. Les enjeux amorcés dans le tome précédent se diluent peu à peu, les personnages initialement majeurs s’effacent, et la tension retombe là où elle aurait dû éclater.
Mais pourquoi Darko Macan malmène-t-il ainsi son scénario ? Il dissipe les enjeux initiaux et referme à la hâte les sous-intrigues du tome précédent, notamment celle de Doc Moon, abandonnée en chemin alors qu’elle bénéficiait jusque-là d’un développement prometteur. On s’attendait à la voir croiser à nouveau la route de River pour proposer quelque chose de fort, tant le découpage entre leurs deux récits semblait conçu pour converger. Mais leur rencontre, lorsqu’elle survient enfin, ne mène à rien de marquant, sinon à une scène déroutante où le colonel Helena sombre brusquement dans la folie. Sans véritable explication, il s’en prend à Bass, pourtant venu le secourir, et précipite dans les flots l’enfant sauvé par Doc Moon, puis se jette lui-même à l’eau, en exigeant du marshal un choix absurde entre lui et l’enfant. Un geste théâtral privé de sens et d’émotion. Pourquoi cet accès de démence ? Mystère. Est-il mort ? Rien n’est certain. River en ressort-il bouleversé ? On en sais rien. Tout cela donne la désagréable impression d’un récit amputé de sa logique interne, d’arcs narratifs sacrifiés comme si Macan avait changé de cap scénarisitique en cours de route. Découle une histoire qui se suit sans véritable colonne vertébrale, vidée du mordant que l'on attendait. Le scénariste tente bien d’explorer la part d’ombre de son héros, d’interroger la frontière poreuse entre le bien et le mal dans un Far West en décomposition, mais, à force de s’enfoncer dans la noirceur, il en oublie sa clarté dramatique, ce qui n'est pas évident pour nous en haleine.
En général, les malades, ils s’en remettent tout seuls, ou alors pas du tout. Le mieux qu’on puisse faire, c’est de leur tenir la main et leur dire que tout ira bien.
Énorme gâchis, également, autour de l’utilisation des Texas Rangers. J’en attendais beaucoup, tant leur présence dans le tome précédent laissait présager une montée en puissance dramatique. Au lieu de cela, ils sont sacrifiés sans logique apparente et réduits à de simples pantins de chairs. Il y avait pourtant un sacré potentiel avec une telle unité symbolisant autant l’ordre que le désordre par le meurtre, le viol, ou encore la brutalité, surtout vis-à-vis de River, qui les déteste. Pourtant, ces hommes servent l’officier pour lequel il éprouve un profond respect, celui-là même qui a fait de lui le premier marshal adjoint noir, avec le colonel Helena. Mais de cette tension morale, rien ne subsiste. Les Rangers n’ont plus rien de complexe. Ce ne sont que des salauds ordinaires, dénués de toute trace d’ambivalence. Et pourtant, ils semblent vouloir se faire pardonner par Helena. Pourquoi, au juste ? Par loyauté ? Par moralité ? Par peur de devenir des cibles pour le gouvernement ? Rien ne le dit vraiment. Leur sacrifice final, est-il censé résonner comme un acte de rédemption ? Agissent-ils par loyauté ? Par culpabilité ? Par fuite de lacheté ? Par pur caprice scénaristique ? On ne sait pas. Cette confusion se double du comportement erratique d’Helena lui-même. Qu’il soit brisé par la mort de sa mère, soit. Mais cette douleur ne suffit pas à justifier la folie meurtrière qui s’empare de lui, ni le geste irréparable qu’il commet. À cause de cela, tout finit par sonner faux. Les émotions paraissent forcées, et la tragédie qui se joue sous noyeux, totalement fabriquée. Si bien, qu'en refermant l’album, un constat amer s’impose : " deux tomes pour seulement ça ! "
En tant que diptyque, c’est une véritable déception. Mais pris isolément, Hell Paso conserve tout de même quelques qualités indéniables. Son univers poisseux et suffocant, ici incarné par une ville rongée par la folie et la fièvre des hommes, dégage une atmosphère désespérée et fataliste qui confère au récit un certain cachet. Ce n’est pas l’album le plus violent ni le plus percutant, mais il fait un minimum le travail. Par contre, c’est à n’y plus rien comprendre, car tout comme dans le tome précédent avec Doc Moon, Macan s’autorise un détour scénaristique inattendu à travers un second arc, cette fois totalement extérieur au récit principal, centré sur le fils de River. Un récit parallèle qui n’apporte strictement rien de tangible à la trame centrale, et qui s’avère pourtant agréable à suivre. Il compense la perte de tension principale par un souffle plus humain et mélancolique. Bien que périphérique, ce contrepoint familial insuffle un peu d’air à l’ensemble et rappelle qu’au milieu de cette folie il reste encore une étincelle de vie qui mérite de survivre. Visuellement, Igor Kordey demeure un conteur d’images d’une rare intensité. Son trait, moins habité qu’à l’accoutumée, n’en conserve pas moins cette expressivité brute, parfois chaotique, qui donne corps à la crasse et au désespoir qu'il décrit. Certaines planches, notamment la superbe double page du saloon vibrant de musique et de fièvre, rappellent qu’il reste un artiste à la puissance évocatrice singulière. La couverture, d’ailleurs, frappe encore par sa force visuelle. Pourtant, l’ensemble paraît plus terne, comme si la main de Kordey avait suivi l’essoufflement progressif d’un récit qui, depuis le tome 8, semble peiner à retrouver sa pleine intensité.
CONCLUSION :
Marshal Bass, tome 10 : Hell Paso n’est pas un échec total, mais il s’impose comme une conclusion décevante à un diptyque qui a perdu sa colonne vertébrale en chemin. Ce n’est pas la chute d’une grande saga, mais celle d’un récit en deux actes qui, malgré des promesses fortes, se délite avant d’atteindre son but. Moins tranchant, moins inspiré, moins habité, cet album révèle une série en perte d’élan, mais en tant qu'album seul, il reste je suppose un minimum intéressant à suivre.
Hell Paso avait pourtant tout pour marquer les esprits, dommage.
Je croyais que vous étiez un homme de réputation Bass. Je pensais que vous aviez des principes, mais non. Vous êtes bien comme tous les autres. Taisez-vous, monsieur Bass ! Les autres, oui ! Dexter Miller et sa bande. Tous des vauriens, toujours prêts à aller plus profond que le fond, peu importe combien on s’évertue à les faire remonter. Toujours à chercher absolution après absolution. Qu’avez-vous fait qui requiert mon absolution, monsieur Bass ? Pourquoi vous être rué à mon secours ?