Critique de Shaynning
Je remercie la maison Rue de Sèvres pour ce service de presse."Jane face au sirènes" est la version française de "Plain Jane and the mermaid". J'aime bien le jeu de mot dans le titre original,...
Par
le 19 mars 2025
Je remercie la maison Rue de Sèvres pour ce service de presse.
"Jane face au sirènes" est la version française de "Plain Jane and the mermaid". J'aime bien le jeu de mot dans le titre original, dommage qu'il ne se trouve pas dans le titre en français. "Plain" peut aussi bien s'utiliser pour parler d'un aliment dans sa version de base ou dans le sens 'ordinaire". C'est donc d'une fille ordinaire dont il est question, mais réellement cette fois, pas l'un de ces sempiternelles beautés qui s'ignorent révélées par de gros mâles alphas couillons ( Je fais une indigestion perpétuelle face à ces histoires sans originalité). Bref, voyons ce que la bédéiste qui nous a enfanté la touchante BD "Un été d'enfer" nous propose cette fois, dans ce monde de conte modernisé.
Jane n'a pas le temps de pleurer la perte de ses parents qu'un cousin aussi moche qu'insupportablement imbu de lui-même et insensible vient se régaler d'avance de toucher l'héritage refusé à la jeune femme, du fait, justement, d'être "femme". Seul un mariage lui donnerait droit à sa dot. Pressée par le temps, Jane se tourne donc vers Peter, le "Dorian Gray" de son village, un jeune homme au physique avantageux qui contraste avec son métier de pêcheur. Néanmoins, quand Jane lui fait part de sa "proposition" de mariage, elle fait l'erreur de laisser entendre qu'il pourra mener une vie oisive à se préoccuper de son apparence grâce à son argent. Vexé d'être prit pour un superficiel, même si, effectivement, il aime son apparence, Peter s'enfonce dans la forêt marécageuse et rencontre alors Loreley, une sirène au cheveux aussi blonds que le siens. Profitant d'une distraction de sa part, elle l'entraine alors dans les profondeurs de l'océan où elle projette de l'épouser ( parce qu'il est beau). Jane doit alors prendre les choses en mains, car, manifestement, personne dans le village ne se soucis ni d'elle ni de Peter. Heureusement, une femme mystérieuse lui confie un attirail d'objets en échange de quelque chose à ramener de a mer: Une cape pour la garder au chaud, une fiole dont le contenant la fera respirer sous l'eau et une pierre qui la fera tenir pieds sur terre une fois au fond de l'eau. Jane pourra éventuellement compter sur le phoque qu'elle a baptisé "Moustache", après l'avoir sauvé de l'esclavage, mais surtout, elle pourra compter sur le courage et la ruse qui ne demandaient qu'à se manifester.
On a tout pleins de profils de personnages intéressants dans cette BD, avec en premier lieu, notre héroïne. Pour une fois, nous avons une "vraie" fille "ordinaire", cette fille si peu représentée dans la fiction, parce que le modèle vendu comme "ordinaire" est en réalité une belle fille mal dans sa peau qui découvre sa beauté à travers le regard d'un mâle alpha. On est donc loin du compte en terme de justesse de représentation. Donc, au placard la fille mince au visage de poupée avec de grand cils improbables et aux lèvres éternellement roses, bonjour la jeune fille rondelette aux joues légèrement couperosées ( ou sujet à l'acnée ) au visage neutre. Jane a grandi dans un monde superficiel, avec des parents représentant le profil type vendu par l'industrie occidental de la mode et des produits esthétiques: grands, minces à la limite maigres, membres effilés, , épaules et mâchoire carrées pour Monsieur, taille de guêpe et grands yeux de biche pour madame. Deux imbéciles, concentrés sur les apparences et les qu'en-dira-t-on, des gens dénués de chaleur et d'amour. On les voit d'ailleurs sur leur portrait de famille, au début: Ils ont les yeux rivés sur leur cadet, un bambin aux grands yeux bleus adorable, alors que leur aînée est presque transparente à leurs yeux, debout dans son coin.
Attention, il y a aura quelques divulgâches à partir d'ici.
Le thème de la beauté est central dans la BD. Jane a grandit dans un monde qui place les apparences au centre de leur vie. Elle a donc intégré qu'étant hors des standards esthétiques, elle est donc un personne "de moindre valeur". Il n'y a donc rien de très étonnant qu'elle s'entiche du beau blondinet aux yeux bleus de son village. On ne sait pas trop si son amour est sincère ou s'il est simplement conditionné par son milieu, mais elle va tout-de-même avoir assez de conviction en son sentiment pour tenter de sauver Peter. Reste que son intérêt pour lui est puéril quand on pense. D'ailleurs, tout coquet et confiant en ses atouts physiques qu'il soit, Peter n'apprécie pas d'être rabaissé à un simple joli bibelot. Il démontre en outre qu'il est travaillant, ce qui dénote encore une fois que ce n'est pas une plante verte complète. Quand à Loreley la sirène blonde, elle a tout centré autour de son physique, au détriment du bonheur de ses sœurs et au détriment de sa moralité. Car si les sirènes peuvent entretenir leur beauté en mangeant de la chaire humaine, elles n'en ont pas en avoir besoin pour vivre ( d'ailleurs, les hommes goutent mauvais). Son penchant pour les hommes n'est donc que motivé par son incurable vanité.
J'ai remarqué que Mélusine et Cléodora sont sous emprise. Elles ne peuvent pas manger ce qu'elles veulent, car selon les dires de leur sœur, elles "doivent garder la ligne". On voit également certains passages où Loreley se montre jalouse et possessive ( tient, pour une fois que ce n'est pas un bad boy couillon!), quitte à menacer directement ses deux sœurs. Pire, elle leur a même menti sur le sort de leur quatrième sœur, qui a préféré une vie humaine avec un corps âgé, avec l'homme qu'elle aime, leur laissant croire que celle-ci est morte seule et abandonnée par ce même homme. Loreley est un intimidatrice, convaincue de sa propre importance, brutale et manipulatrice, manipulatrice et incapable d'empathie. Tant de laideur sous ce vernis de beauté. SEs soeurs, cependant, ne demande qu'à s'émanciper et feront le choix de vivre auprès de leur soeur vivant sur la terre ferme, dans leur âge véritable. Elles pourront ainsi s'adonner à leurs passions et même, en faire apprécier les habitants. Jane n'est donc pas la seule à trouver sa "fin heureuse" dans cette histoire.
Moustache, on le vera plus loin, est un selki, un homme ayant une peau de phoque, pouvant ainsi passer la frontière entre les deux espèces d'un simple changement de peau. Les selkis font parti des créatures fantastiques qu'on commence à connaitre, inspirée du folklore écossais ( Shetland). Traditionnellement, dans les histoires, tout comme les sirènes, le selkis étaient des femmes, mais de plus en plus, nous voyons leur alter ego masculin apparaitre, comme ici. "Moustache" a par ailleurs un physique qui rappelle les nations polynésiennes ou hawaïenne. Moustache devient l'allié de Jane quand celle-ci le libère d'un tyrannique petit bonhomme poisson narcissique ( qui va connaitre une fin tragique bien méritée). Il est bourru et collabore à reculons au début, mais va finir par constater que Jane n'est pas la petite idiote pâmée sur son beau prince en détresse qu'il semble penser. Ce qui me fait penser qu'effectivement, nous avons un conte inversé avec une femme qui va sauver son fiancé. Et un deuxième homme en détresse au passage. Bonne moyenne au bâton, Jane!
Sinon, il y a pleins de péripéties et d'actions à travers tout le volet social, identitaire et émotionnel. On retrouvera par exemple le drame entourant la disparition du petit frère de Jane, dont elle s'est longtemps crue responsable, l'épave truffé de cadavres sans tête résultant d'une rencontre avec Loreley 50 ans plus tôt ou encore la rencontre avec les abysses, tréfonds marins sans lumière.
Quand à la fin, Jane ne se contenta pas d'un mariage avec une personne qu'elle n'aime pas réellement, grand bien lui fasse.
Mention spéciale à Doris ( Alias "Magie") qui a une relation vraiment trop mignonne avec son mari depuis des décennies. On la voit prendre soin de son époux, qui a un début de démence qui lui fait parfois perdre contact avec la réalité, mais qui se rappelle l'amour de sa conjointe et lui adresse tout ses sourires. Ils sont si charmants.
Une bonne BD qui illustre que les personnages féminins ne sont plus simplement des amoureuses désespérées, mais de réelles héroïnes capables, rusées et pleines de ressources. De même, les personnages masculins proposent de nouveaux archétypes, plus nuancés et avec des traits qu'on a longtemps cantonnés aux personnages féminins. Le tout navigue entre les légendes navales et les créatures fantastiques marines.
Pour un lectorat intermédiaire à partir du 3e cycle primaire, 10-12 ans+
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleures BD jeunesse, Les meilleures BD avec une héroïne, Vent de changement en BD Jeunesse, La Bibliothèque de Sparkus (BD): Si je devais avoir une bibliothèque privée on y trouverait... et BD Jeunesse: La tribune aux filles
Créée
le 19 mars 2025
Critique lue 3 fois
Je remercie la maison Rue de Sèvres pour ce service de presse."Jane face au sirènes" est la version française de "Plain Jane and the mermaid". J'aime bien le jeu de mot dans le titre original,...
Par
le 19 mars 2025
BD adulte de 2020, "Chinese Queer" est ce genre de Bd qui comporte une forte dimension philosophique existentielle, un côté de critique sociale et un graphisme assez particulier.Faire un résumé de...
Par
le 22 mai 2022
5 j'aime
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
Par
le 23 oct. 2022
4 j'aime
Cette Bd, qui a un format de roman, donne le ton dès sa couverture: deux gars qui sont appelés à se rapprocher malgré des looks plutôt différents. Même les couleurs illustrent d'emblée la douceur de...
Par
le 25 févr. 2023
4 j'aime