En 2008, alors que Nolan s'apprête à changer à jamais la vision que le monde entier à du Joker, DC souhaite en profiter pour offrir un petit lifting au personnage. Cherchant, comme le cinéaste, à l'amener dans un univers plus réaliste, les éditeurs confient ce travail à Brian Azzarello et Lee Bermejo, le duo d'artistes qui avait déjà offert un renouveau acclamé par la critique avec Lex Luthor : Man of Steel.
Malheureusement, on ne peut pas toujours réussir tout ce qu'on entreprend et cet hors-série échoue à donner un Joker convaincant.

Sans que l'on ne sache comment, le Joker parvient à sortir d'Arkham. Il est alors accueilli par Johny Frost, un criminel qui est lui aussi sorti récemment de prison après son cinquième emprisonnement. Le Joker voit que la ville, jadis sous son contrôle, lui a échappé, il est l'heure d'en reprendre le contrôle. Frost entend bien devenir un homme important, quelqu'un qui pèse et le Joker est, selon lui, l'opportunité rêvé. En lui étant fidèle, en suivant son ascension, Frost sait qu'il deviendra un grand de Gotham.
Cherchant à moderniser le personnage, Azzarello attache le personnage au rang de chef de gang détraqué. Le Joker va se mettre à massacrer ses ennemis, les traitres, etc … Aidé dans sa tâche par Johny Frost, Harley Quinn et un Killer Croc particulièrement réussi.
La narration se fait via Johny Storm qui est à la fois nerveux et enjoué devant une telle déferlante de violence.

Pour le dessin, on a droit à Lee « God » Bermejo. Bien évidemment on s'attend à une réussite totale … Et ba non. Enfaite, le tome ne cesse d'osciller entre des fresques peintes, dans le pur style de Bermejo (où il fait l'encrage) et pages plus classiques avec une colorisation moins forte, avec plus d’aplats et donc l'encrage est de Mike Gray.
On assiste, de ce fait, à quelques pages grandioses et d'autres, totalement loupées. On en ressort avec un goût mitigé. Si Bermejo a eu la bonne idée de diriger totalement les planches principales, plus d'une est raté ou semble sortit d'un comics lambda. C'est donc des regrets que l'on a, en lisant Joker, car le graphisme n'est pas à la hauteur de ce que l'on pouvait attendre.

L'idée de se mêler à une criminalité plus urbaine, de rendre les personnages classiques comme « normaux » dans ce monde est particulièrement réussi. On a un Edward Nigma qui est un génie, voleur chevronné et jeune homme qui boite, un Pingouin qui s'occupe de l'argent sale mais manque de charisme, un Double-Face qui dirige toute la pègre d'une main de fer et a deux épouses, une par personnalité. Harley Quinn devient une strip-teaseuse qui a perdu de son charme fou. Et Batman n'apparaît qu'à la fin mais avec un charisme totalement absent.
Car oui, cette réécriture a beau être intéressante, elle échoue souvent à sonner juste. Autant Double-Face, The Riddler et Killer Croc sont de belles réussites autant le Pingouin et Harley Quinn apparaissent comme des échecs. Batman, pour sa part, n'a vraiment pas le beau rôle et c'est à peine si on le mentionne (alors qu'il y a une véritable guerre de gang).

Le pire est bien évidemment le traitement du Joker, totalement hésitant. En réalité, le charme du fou psychopathe a disparu, car il ne fait pas réellement fou. Juste méchant, très méchant, très sadique, mais pas fou. On a du mal à y croire. Si certaines idées sont particulièrement bonnes (sa cruauté, son amour des fêtes, sa sexualité, et surtout le fait d'en faire un violeur) d'autres sont limites (le faire pleurer, accro aux médicaments pour tenir le coup). Son rapport à Batman est à peine évoqué et nullement traité également. On a surtout du mal à voir le charisme du personnage tant il apparaît comme mal écrit.
Il faut dire que l'on est pas aidé par la narration. Johny Frost apparaît comme presque transparent, sans réel profondeur et sans intérêt. Si certaines idées (le fait qu'il finisse par rire de folie, comme un Joker potentiel) sont intéressantes, il est, la majorité du temps, totalement inintéressant, voir effaçable. Frost semble gêner et le Joker lui, semble ne pas être le grand danger que l'on connait. Le Joker perd de sa superbe, non pas à cause de cette mise en situation mais bien parce que l'écriture n'est pas au niveau.

A partir de cela, je pense que la clef de lecture s'impose d'elle-même :
Peut-on nier que le Joker soit sans charisme ? A moins d'être totalement ignorant du personnage, non. L'on serait donc forcé de penser que Azzarello s'est planté. Ou alors, au contraire, il a totalement réussi son coup, avec une subtilité incroyable que l'on ignore totalement. Le Joker n'est pas fou. Il n'est plus fou pour être exacte. Ce n'est pas un Joker à la Morrison qui contrôle sa folie. Si il quitte Arkham, c'est parce qu'il n'est plus fou. C'est ce que l'on dit à son propos dans ce début d'album : il serait guéri. Tout le reste de l'histoire nous montre un Joker tentant d'être fou, tentant de rester Joker mais sans y parvenir. Voilà pourquoi il n'est pas si charismatique, si impressionnant pour le lecteur habitué, on est loin du prince clown du crime.
Voilà également pourquoi il est si accro aux médicaments, est-ce que cela l'aide à faire croire à sa folie ? Est-ce que cela le stabilise psychologiquement ? Le Joker est le premier trompé par ses actes, il tente d'être ce qu'il était, ce qu'il n'est plus. Voilà pourquoi la moquerie finale de Batman l'énerve, car ce-dernier sait que le Joker n'est plus le Joker.
Tout le long du récit, Johny Frost ne cesse de souligner que lorsque le Joker rit, on ne sait pas si il rit ou si il tousse, si il s'étouffe. On ne sait pas réellement si il rit, si il pouffe, ou si il se force, ou si son corps ne peut pas suivre. Quand Batman intervient, il pleure et rit, seul Johny rit réellement. Pourquoi ? Parce que le Joker n'est plus que l'ombre de lui-même.
La dernière blague du Joker c'est cet album : le Joker est mort et cela, malgré les dernières paroles de Frost.
mavhoc
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le 28 janv. 2015

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