Gotham City. Trois mois se sont écoulés depuis la chute du présumé Red Hood dans une cuve d’acide suite à l’intervention du justicier se faisant appeler Batman. Un soir, toutes les ondes de télévision sont piratées pour montrer le même visage : celui d’un clown au sourire mauvais qui promet de tuer plusieurs notables de la ville en fixant une deadline avant chacune de leur mort. Baptisé le Joker par la presse, le criminel passe rapidement à l’acte en parvenant à empoisonner un politicien malgré la protection de la police. Et très vite les victimes s’enchainent, mourant toujours à l’heure promise par le clown. Alors que James Gordon tente du mieux qu’il peut de resserrer la sécurité autour des personnalités menacées, Batman tente de trouver où se cache le psychopathe. Il finira par découvrir que cette série de meurtres n’est pas le plus préoccupant des projets du Joker.
Clignant bien évidemment de l’oeil à l’oeuvre de Victor Hugo, Joker : L’homme qui rit est une mini-série d’une soixantaine de pages parue en 2005 puis restée longtemps introuvable par chez nous avant d’être rééditée par Urban en 2020 à l’occasion de la sortie du film Joker de Todd Phillips. L’album est complété par une seconde histoire extraite de la maxi-série Gotham Central et mettant bien évidemment en vedette le Prince du crime.
Une histoire qui était donc déjà facilement trouvable chez Urban et qui aurait pu laisser place à une autre parmi les dizaines toujours non publiées par l’éditeur (pourquoi pas Secrets de Sam Kieth, Cité du crime ou Crimes de guerre ?).
Sombre et réaliste, narré à la façon des procedural show type Law and order, la seconde histoire captivera surtout les aficionados de Gotham Central et intéressera sans plus les autres lecteurs.
Tout l’intérêt de l’album tient dans son histoire éponyme, et dans sa façon de "canoniser" le passif du Joker tel que décrit dans The Killing Joke. L’intrigue de L’Homme qui rit se pose en effet dans la continuité des origines du Joker imaginées par Alan Moore. Dès les premières pages, on constate, tout comme Batman et Gordon, la singularité d’un criminel qui n’a pas hésité à tester son poison sur des dizaines de personnes retrouvées mortes dans un entrepôt, un horrible rictus figé sur leur visage. L’entrée en scène du Joker via les médias et sa façon d’annoncer ses futurs exactions lorgne sur la grandiloquence du Joker de César Romero ou la cruauté guillerette de Jack Nicholson (ou même du Joker de la série animée des années 90), quand son projet final raccroche les wagons avec son tout premier plan lors de la première apparition du personnage dans les pages de Detective Comics en 1940.
L’idée est ici, non pas de réinventer le Joker, comme bon nombre d’auteurs ont essayé de le faire mais plutôt d’appuyer l’iconographie classique du personnage et de briser le run parfois délirant de Grant Morrison des années 2000 par un retour à une forme plus classique de l’antagonisme Batman/Joker.
Grâce à une narration fluide, le scénariste Greg Rucka arrive à maintenir un suspense efficace quant à la manière dont le clown s’y prendra pour atteindre ses victimes toutes désignées. Ni Gordon, ni même Batman seront en mesure d’anticiper ses différents modus operandi. Du moins, durant un temps. Bruce Wayne étant lui-même désigné comme victime, Batman a tout intérêt à coincer le meurtrier.
Trois ans plus tard, les frères Nolan se souviendront de l’idée des notables visés par le Clown en l’intégrant brièvement dans The Dark Knight, lorsque le Joker de Ledger menace puis élimine un par un les représentants de justice poursuivant la pègre de Gotham (le whisky empoisonné du commissaire Loeb, la voiture piégée de la juge...).
Si l’histoire de L’Homme qui rit est loin d’être la plus mémorable en terme de sous-texte, d’événements et de finalité, elle a le mérite de proposer une intrigue riche en suspense et de mettre à jour les premiers pas criminels du Prince du crime. Bien servi par le trait particulier et les illustrations fournies de Doug Menhke, l’ouvrage se lit et s’apprécie pour ce qu’il est, l’histoire du début d’un conflit entre deux fous : l’un croyant dispenser la justice dans l’idée de surmonter un deuil originel, l’autre se "rebootant" en tant qu’individu insensible à toute forme d’entraves morales. L’un est drivé par un souvenir, l’autre fait le choix de tout oublier.
À réserver aux fans du Batverse.