- Mes frères Oglala veulent déjà rejoindre les chasses éternelles ?!
- Nos vies t'appartiennent, frère Cheveux-Jaunes !…
- Gardez-les ; ça peut toujours servir.
- Alors tu es aussi à la poursuite des Crow ?
- J'ai vu pendre Two-Guns ! Il était innocent et je n'aurai de cesse qu'il soit vengé !

À mi-chemin entre Blueberry et Buddy Longway : Indian Lover !


Jonathan Cartland, tome 1, nous plonge le 22 septembre 1854, au cœur d’un Ouest en pleine bascule. D’un côté subsiste l’ancien monde avec celui des Indiens des Plaines, encore fiers, libres et porteurs de traditions millénaires, mais déjà condamnés par l’Histoire qui avance comme un rouleau compresseur. De l’autre surgit le nouveau monde avec la conquête américaine, brutale et insatiable, prête à engloutir chaque parcelle de territoire au nom de l’or, du profit et d’un racisme institutionnalisé. Entre ces deux univers voués à s’entre-déchirer se tient Jonathan Cartland, surnommé par les Indiens « Cheveux jaunes ». C'est un trappeur aguerri chasseur de peaux, qui n’est pas qu’un homme de survie mais aussi un humaniste encore habité d’illusions, déchiré entre ses racines de Blanc et son respect profond pour les nations autochtones. Il est une figure charnière incarnant cette frontière mouvante où l’ancien monde s’efface tandis que le nouveau s’impose dans la violence. Pour donner un ordre d’idée aux amateurs du genre, Cartland se situe quelque part entre le panache désabusé d’un Blueberry et la sensibilité humaniste d’un Buddy Longway.


Le scénario signé Laurence Harlé choisit la voie du western classique tout en esquissant déjà une réflexion plus large sur la violence et la cupidité. Bien que l’intrigue semble à première vue conventionnelle lors des premières pages, le récit se teinte d’un souffle plus grave et réaliste à mesure que l’on avance avec des militaires corrompus qui manipulent les Indiens à coup d’alcool et de crimes déguisés pour mieux les accuser. La pendaison injuste du Sioux Two-Guns, que Cartland refuse de croire coupable, devient le déclencheur moral du récit. En jurant de venger l’innocent, Cartland s’élance sur un chemin dangereux, où se croisent les Crows, les Oglalas et les officiers de l’armée américaine, chacun incarnant une facette de la violence de la Frontière. La mécanique du scénario reste prévisible mais fonctionnelle par sa sincérité et son énergie. On sent dans cette première aventure la volonté de l'auteur de marier spectacle et documentation. Les péripéties ne manquent pas entre une confrontation contre un ours, des affrontements au pistolet, un duel au couteau, des embuscades, des chevauchées et autres trahisons qui se succèdent avec intensité, le tout portée par une narration qui ne ménage pas son personnage principal.


Harlé distille également des éléments ethnographiques, glissés dans les dialogues ou les scènes de campement, ce qui donne aux Oglalas une épaisseur culturelle rarement accordée dans les westerns de bande dessinée de l’époque. La conclusion du récit illustre parfaitement cette double ambition : l’intrigue principale se referme, mais Harlé prend encore le temps de montrer la vie quotidienne des Oglalas, leurs coutumes et leur rapport au sacré. Ces instants suspendus mènent à une communion profonde entre Jonathan et le peuple qui l’accueille, scellée par son union avec Petite-Neige, symbolisée par l’échange d’une peau. Plus qu’un simple mariage, c’est le signe d’un passage, d’une adhésion à un monde en voie de disparition. Certes, quelques clichés demeurent, mais le regard porté sur les peuples autochtones se révèle respectueux, annonçant déjà la tonalité humaniste qui fera la force de la série. Car dès ce premier tome, on devine que Jonathan Cartland ne se contentera pas d’illustrer le folklore du western mais explorera ses zones d’ombre, entre une violence aveugle, la spoliation des terres, l’hypocrisie des "civilisés", et la fragilité tragique des nations amérindiennes.


Go to blazes !!

Côté personnages, ce premier tome ne manque pas de figures marquantes. Jonathan Cartland s’impose d’emblée comme un héros atypique, à la fois rude et idéaliste, cherchant à rapprocher deux mondes pourtant irréconciliables. Là où beaucoup de protagonistes de westerns de cette époque frôlent l’archétype du boy-scout irréprochable, Cartland se distingue par son franc-parler, sa fidélité indéfectible envers ses idéos, et son refus viscéral des injustices, d’autant qu’il n’hésite pas à recourir aux armes quand la situation l’exige et à la vengeance. À ses côtés, on découvre deux Sioux Oglalas avec Black Turtle et Lazy Dog, qui apportent chacun une touche de relief à l’aventure. Le chef des Oglalas, Running Bear, incarne quant à lui la sagesse et la dignité de son peuple, tandis que sa fille, Petite Neige, introduit une dimension plus intime et symbolique dans le destin de Cartland. Le récit introduit également Louis, un jeune métis issu du Fort Hope, qui se révèle un allié précieux dans la lutte contre les manigances fomentées autour de la tribu.


Du côté des antagonistes, ce premier tome frappe fort. On y croise le commandant par intérim du Fort Hope, personnage cupide et ambitieux, prêt à sacrifier la paix pour s’accaparer les terres indiennes. Son alliance avec Jack, chef d’une bande de trafiquants d’alcool et d’assassins, ajoute une couche supplémentaire de cruauté et de manipulation, les deux hommes étant à l’origine de nombreuses provocations visant à dresser les Sioux contre les colons. Mais c’est sans doute le sort réservé au capitaine par intérim qui marque durablement le lecteur. Sa descente dans la folie est mise en scène avec une étonnante intensité, jusqu’à une séquence finale hallucinée où il finit par s’immoler dans les flammes. Un passage brutal et visuellement saisissant, qui donne au récit une conclusion d’une puissance dramatique incontestable. Même du côté de Jack, les traits autour de celui-ci, notamment lors de son duel au couteau contre Cartland, sont parfaits.


Graphiquement, on ressent encore les tâtonnements du jeune Michel Blanc-Dumont. Son trait n’a pas encore atteint l’assurance et l’ampleur qu’il déploiera dans les albums suivants, mais il révèle déjà une rigueur documentaire et un sens du détail qui donnent chair au récit. Les visages sont parfois un peu figés, mais conservent malgré tout une intensité dramatique qui sert bien l’atmosphère sous tension de l’histoire. Le dessin encore en recherche n’en épouse pas moins avec sérieux les codes du western avec des grands espaces balayés par le vent, des chevauchées effrénées, et des silhouettes burinées par la rudesse de cette vie. On y décèle déjà les prémices d’un style à l'ancienne qui me parle pas mal.



CONCLUSION :


Jonathan Cartland s’impose comme un premier tome qui se lit avec aisance, porté par un récit tendu, happé par la tourmente de l’Histoire. Certes, l’album n’est pas exempt de faiblesses, mais il séduit par son intelligence et par la façon dont il dresse le portrait d’une réalité implacable, tout en maintenant une tension dramatique haletante, resserrée jusqu’à un dénouement incandescent, fait de flammes et de sang.


On referme ce premier volume avec le sentiment d’avoir assisté à la naissance de ce qui pourrait devenir une grande fresque.



- Prends ton couteau et défends toi !
- Ha ! Ha ! Ha ! Imbécile !!
- Ris une bonne fois, je vais te tuer !!
- Mais pourquoi t'obstines-tu à défendre ces sauvages ? Tôt ou tard ils seront balayés !! Ils prennent trop de place tes petits copains… Et la civilisation a besoin de place. Ha ! Ha ! Ha !
- De quel côté est la civilisation ? Je préfère vivre dignement comme ces "sauvages"… Même s'ils ont trop confiance dans les traités des Blancs pour comprendre qu'on les dépouillera complètement !

B_Jérémy
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