SUPERGROOM, c'est un peu comme le manga dans KILL BILL. C'est un aparté, une digression.
Dans le film de Tarantino, ça servait à raconter la rapide biographie d'O-Ren-Ishii, puis la narration classique en images réelles reprenait son cours.
Eh bien, c'est pareil ici : SUPERGROOM n'est pas une série parallèle, ou à part. C'est un aparté raconté dans un style différent. Et c'est bien pour cela qu'il n'y a pas de reprise de la série par quelqu'un d'autre pendant ce temps-là, car on reste dans la continuité de La Colère du Marsupilami qui se terminait par "Ce mail d'apparence anodine va faire basculer nos héros dans un abominable cauchemar nazi !" Et lorsque l'aparté – constitué de trois tomes de SUPERGROOM – sera paru, Yoann & Vehlmann feront un tome 56 classique de SPIROU & FANTASIO° qui reprendra alors son chemin traditionnel.


Justicier malgré lui commence donc sur le tournage à Hollywood (où les voitures roulent à gauche – Bravo Yoann ! encore et toujours très sérieux et appliqué) d'un film se déroulant pendant la Seconde Guerre Mondiale (le fameux cauchemar nazi évoqué plus haut). Hormis les croix gammées qui changent de sens ou les chaussures de Spirou qui, le temps d'une case, deviennent des baskets alors qu'il portait des godasses de rando depuis le début (Yoann toujours aussi pro), le héros, soudain préoccupé par son bilan carbone, nous explique qu'il veut laisser tomber sa vie d'aventurier et cultiver des salades. Mais la réalité va bien évidemment se rappeler à lui, car sinon, raconter la vie d'un gars qui exploite sa luzerne, ça intéresserait encore moins de monde que les derniers SPIROU & FANTASIO.


L'idée de faire de Spirou une parodie de superhéros n'est pas forcément mauvaise en elle-même. Encore une fois, ce ne sont pas les idées qui sont mauvaises, c'est ce que l'on en fait. Et c'est bien là le problème, car le résultat est très loin d'être convaincant.


Ce qui est particulièrement désagréable, c'est ce sentiment permanent que Fabien Vehlmann s'est approprié SPIROU & FANTASIO pour en faire un outil de propagande systématique et personnel de ses idées écologistes.
Entendons-nous bien, je n'ai absolument rien contre l'écologie. Il faudrait être stupide pour ne pas s'en préoccuper de nos jours et être contre. Mais il y a un temps et un lieu pour tout. Et surtout une manière de faire. Et la manière de Vehlmann est déplorable.
Ses dialogues paternalistes (sous prétexte qu'il croit s'adresser à des enfants – le public qu'il souhaite viser) et moralisateurs sont écœurants et le rangent d'emblée dans la case des bien-pensants et des bobos donneurs de leçons plutôt que dans le camp des authentiques écolos, comme peut l'être un Frank Pé par exemple, ou comme l'était Fournier en son temps, avec finesse et poésie.


Franchement, commander un "verre de lait de noisette" dans le café d'un quartier modeste ; si c'est pas bobo, ça ! (et déconnecté de la réalité). D'ailleurs le cafetier le dit carrément à Vehlmann. Pardon ! à Spirou. Et, comme tous les gens malhonnêtes, pour se justifier, celui-ci change de sujet en se victimisant : "On est bobo quand on emménage dans un quartier bon marché parce qu'on n'a pas un rond ?!" Comme si l'autre lui avait jamais parlé de ça ! Et puis Vehlmann noie le poisson et ça se termine par un : "J'aime les gens qui ont du caractère".
Bref, la mentalité de ce SUPERGROOM est finalement très bien dans l'air du temps. On ne pourra pas lui reprocher ça. Et le problème est que tout l'album baigne dans cette atmosphère-là.


Dans la mince intrigue, on trouve aussi d'affreux promoteurs immobiliers qui exproprient des gentils pauvres et qui rasent des quartiers populaires entiers pour construire d'horribles tours modernes pour y mettre des vilains riches. Encore une fois, c'est tout blanc ou tout noir. C'est primaire et sans la moindre finesse. À l'image des tentatives d'humour qui apparaissent de-ci de-là.


De son côté, Yoann, en dehors des bourdes sus-citées, s'amuse car il peut enfin réaliser son rêve. À l'instar du scénariste qui fait de Spirou son avatar écolo-militant, le dessinateur utilise SPIROU & FANTASIO pour réaliser son fantasme de toujours : faire du comic. Ce qui n'est pas surprenant. Depuis le début de sa carrière, il n'a quasiment fait que des monstres et des superhéros ou apparentés. Ce qui n'est pas une critique, je tiens à le préciser. Yoann ne peut pas s'empêcher d'en mettre dès qu'il peut ; c'est son truc.


D'ailleurs, tous ses SPIROU en contenaient déjà (les monstres préhistoriques dans les fonds marins des Géants pétrifiés, les zorkons d'Alerte aux zorkons, les machins-garous de La Face cachée du Z, Batguy dans La Vipère, le monstre dans le labyrinthe d'Ibn Sina du tome 54 et les animaux de la jungle rendus monstrueux par la zorglonde dans le 55, et ne parlons pas des histoires courtes avec Batguy, SuperGroom, Champignac en supervilain dans Destins contrariés et les animaux préhistoriques de La Chevauchée temporelle). Ce n'est donc pas étonnant qu'on en soit arrivé là, vu qu'il n'y a que ça qui l'intéresse. Moi, j'aurais nettement préféré qu'il fasse plutôt un deuxième tome des CAPTAINZ, parce que ça, c'était vraiment bien !


Avec SUPERGROOM, Vehlmann dit qu'il veut faire revenir à eux les jeunes lecteurs qui ont déserté SPIROU & FANTASIO (pour les endoctriner ?) Mais son postulat de départ est tronqué car les enfants n'ont pas vraiment déserté SPIROU & FANTASIO. Ce sont surtout leurs parents qui ont décidé d'arrêter de le leur acheter. Les auteurs et Dupuis oublient effectivement un peu vite que ce sont les parents qui achètent les BD. Et, à l'instar de TINTIN, ASTERIX ou LUCKY LUKE, SPIROU & FANTASIO est une série des 7 à 77 ans. Pas une série exclusivement pour les enfants. Elle s'est perpétuée traditionnellement de génération en génération parce que les enfants devenus adultes les ont faits connaître à leur tour à leurs propres enfants. Depuis 1995 (Luna fatale, dernier album valable appartenant au canon de la série), il n'y a plus jamais eu de SPIROU & FANTASIO digne de ce nom et les anciens jeunes se sont donc détournés des nouvelles et décevantes propositions hétérogènes, ne les faisant plus connaître à la génération suivante. Résultat, le lectorat s'est considérablement réduit et désormais Dupuis patauge en se rassurant grâce aux pensums d'Émile Bravo, autres chefs-d’œuvre de la bien-pensance généralisée ambiante avant tout destinés aux adultes.


Aujourd'hui, les auteurs s'amusent donc et sont fiers de leur bébé. Tant mieux pour eux. Il y aura sûrement du monde pour apprécier ce nouveau "SPIROU VU PAR..." et on est content pour eux aussi. Certains l'achèteront même et seront heureux de leur lecture. Tous les goûts sont dans la Nature et c'est très bien ainsi. Mais pourquoi des mômes iraient se plonger d'eux-mêmes dans les bien peu palpitantes péripéties d'un Supergroom, même parodique, sorti presque de nulle part à leurs yeux alors qu'ils ont de vrais superhéros authentiques étasuniens à disposition, même parodiques ? Est-il vraiment possible que cette nouvelle version du personnage donne envie aux enfants de lire la série-mère que personne n'a eu envie de leur faire découvrir jusqu'à présent ?


Le pire, c'est qu'il existe une demande réelle du lectorat, adulte certes (et qui s'amenuise), mais qui se ferait un plaisir de faire découvrir de nouveaux SPIROU & FANTASIO dignes de ce nom à une nouvelle génération, et que Dupuis fait exprès de ne pas satisfaire depuis vingt-cinq ans (une génération).


Requiescat in pace Spirou ?


-


° : Si les trois tomes de SUPERGROOM ont du succès, Yoann & Vehlmann quitteront SPIROU & FANTASIO après le tome 56, qui permettra de raccrocher les wagons à la série-mère, et passeront la main à quelqu'un d'autre. Ils se consacreraient alors, quant à eux, seulement à SUPERGROOM qui deviendrait une série à part entière avec de nouveaux albums. Si les trois tomes n'ont pas de succès, ils reprendront la série avec les tome 56 et suivants, jusqu'à ce qu'ils en aient marre ; ou qu'on les vire.

Muffinman
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le 7 févr. 2020

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