Avec « L’arbre au Soleil », Osamu Tezuka construit une fresque historique et dramatique ambitieuse, à la fois bien documentée et passionnante sur les bouleversements qu’a connu le Japon au milieu XIXème siècle. A travers le point du vue de ses deux personnages principaux, Manjiro Ibuya et Ryosen Tezuka, l’auteur fait preuve d’un véritable souci de réalisme, la plupart des personnages et événements de l’œuvre ayant réellement existés. A commencer par Ryosen, un médecin de l’époque qui s’avère être un ancêtre du fameux créateur de cette série.


Ce cadre historique important lui permet donc de développer des thèmes particulièrement variés. Si les énumérer ne servirait pas à grand-chose, c’est en abordant la xénophobie qu’il résume le mieux l’état d’esprit des japonais à cette époque. Le Japon étant resté jusque-là coupé du monde en dehors de l’Asie, les premiers contacts avec la culture et les voyageurs occidentaux posent de nombreux problèmes. Ils ne sont effectivement pas nombreux à voir la venue d’ambassadeurs américains et de nouvelles méthodes médicales européennes au Japon d’un bon œil. Cette arrivée créant émeutes et meurtres xénophobes, il paraîtrait plus simple que le Japon reste hermétique. Mais rien n’est simple. Les deux personnages principaux, eux, ont très bien compris que cette occidentalisation est nécessaire pour améliorer un pays qui semble n’avoir pas quitté le Moyen-Age. Entre les épidémies meurtrières, une économie instable, et un système politique gangrené par la corruption de ses ministres qui refusent le moindre changement, le pays ne peut pas rester dans cette situation précaire.


Manjiro et Ryosen luttent donc corps et âmes dans leurs domaines respectifs (militaire et médical) pour faire avancer les choses. Tandis que Manjiro protège les premiers ambassadeurs américains au Japon, Ryosen tente de faire construire un centre de vaccination. Mais si leurs combats paraissent prendre de l’ampleur au fil du temps, ils seront systématiquement rattrapés par la dure réalité. C’est en cela que « L’arbre au Soleil » est aussi une fresque humaniste, en montrant des personnages dans une lutte perpétuelle, délaissant ainsi leur vie privée tout aussi mouvementée, pour moderniser un Japon archaïque. Le samouraï Manjiro Ibuya est de ce point de vue le personnage le plus remarquable. Impulsif, d’une timidité maladive, il ne sait véritablement faire qu’une chose : se battre. Et alors que sa bien-aimée est dégoûtée par la violence, son esprit idéaliste le pousse à transgresser et tuer, tant bien que mal, pour lutter contre la corruption et perpétuer un certain sens de l’honneur. Sens de l’honneur qui n’est en aucun cas en adéquation avec l’idée de modernité occidentale, là est toute l’ambiguïté du personnage. Dans les derniers moments du récit, ce dernier éclipse d’ailleurs en grande partie le deuxième personnage Ryosen, une preuve supplémentaire de la modestie de l’auteur qui aurait pu se contenter de rendre hommage à son ancêtre qui a grandement contribué à la modernisation médicale du pays.


N’hésitant pas à mettre le drame au premier plan de son histoire, Osamu Tezuka développe de nombreux personnages, tous torturés, mais qui ne perdent jamais espoir et ne renoncent jamais à leurs principes. Dans chacun d’eux, il y a un souffle de vie grandiose, qu’ils consument sans la moindre modération. Cela donne une ampleur considérable à l’œuvre, qui marque les esprits autant pour son contexte historique que pour ses personnages.

Marius_Jouanny
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le 18 avr. 2015

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