Plongée dans l'Amérique blanche et armée de Donald Trump

Chris Kyle est un héros typiquement américain. Le genre de guerrier invincible et inébranlable qu’on voit dans les séries et dans les films. Le prototype du "gentil" qui terrasse tous les "méchants". Sauf que dans son cas, la réalité dépasse la fiction… Durant ses quatre missions en Irak, ce tireur d’élite des forces spéciales de la marine américaine, les fameux "Navy Seals", a tué plus de 160 "cibles". Un chiffre hallucinant, qui fait de lui le recordman du nombre de tués homologués de toute l’histoire de l’armée américaine. Son tableau de chasse réel est plus impressionnant encore, puisqu’en incluant les tués "non confirmés", c’est-à-dire sans témoin, on estime à 255 le nombre d’êtres humains abattus par Chris Kyle. Cerise sur le gâteau, ce "sniper" bardé de médailles est revenu d’Irak avec un surnom particulièrement flatteur: "la Légende". Il n’en fallait pas plus pour que Hollywood s’empare de ce destin hors normes, que Kyle a raconté lui-même dans un bestseller intitulé "American Sniper". C’est le vétéran Clint Eastwood en personne qui a réalisé le film du même nom, avec Bradley Cooper dans le rôle de Chris Kyle. Mais ce dernier ne verra jamais cette adaptation. Le 2 février 2013, "la Légende" est abattue sur un champ de tir par un certain Eddie Ray Routh, un ancien soldat victime de troubles mentaux post-traumatiques. Comble de l’ironie, Chris Kyle avait lui-même surmonté ses symptômes de PTSD (post-traumatic stress disorder) en aidant d’anciens camarades de guerre à remonter la pente. Régulièrement, il invitait des culs-de-jatte, des manchots et autres traumatisés sur un champ de tir au Texas pour leur redonner goût à la vie grâce à des fusils de guerre et des pistolets automatiques. "L’homme qui tua Chris Kyle" est une plongée dans ce monde improbable, avec en vedette Chris bien sûr, mais aussi sa veuve Taya et son assassin Eddie…


On le sait: Fabien Nury et Brüno sont deux très grands cinéphiles. Dans le magnifique ouvrage "Vintage and Badass", sorti fin 2018, ils ont d’ailleurs répertorié avec passion tous les films qui ont été pour eux une source d’inspiration pour la création de leur personnage "Tyler Cross". C’est dans ce même esprit qu’ils se sont intéressés au film "American Sniper". Mais après avoir vu ce long métrage aux relents très patriotiques, ils décident d’aller un pas plus loin. En faisant des recherches sur les parcours de Chris Kyle, Taya Kyle et Eddie Ray Routh, ils découvrent que cette histoire dépasse largement le simple fait divers, mais qu’il s’agit au contraire d’un révélateur hautement symbolique sur la face la plus obscure des Etats-Unis. Le temps d’un album, ils délaissent donc la fiction pour offrir à leurs lecteurs un documentaire rigoureux sur le meurtre de Chris Kyle et sur sa récupération politique, économique et médiatique. En s’appuyant sur des interviews réelles des différents protagonistes, presque comme s’il s’agissait d’un épisode de "Faites entrer l’accusé", les auteurs nous révèlent le visage effrayant de cette Amérique blanche et armée qui a mené un certain Donald Trump au pouvoir. Un pays où règnent la religion, la drogue et la musculation. Nury et Brüno n’ont même pas besoin d’appuyer leurs propos. Pour nous montrer toute l’étendue de ce cauchemar américain, il leur suffit de rapporter tels quels les mots des interviews de Taya Kyle sur Fox News ou ceux des publicités enregistrées par la veuve de "la Légende" pour des fabricants d’armes. Incroyable mais vrai! Dans ce récit plutôt glaçant, Nury et Brüno s’offrent tout de même une petite récréation. En clin d’oeil à leur amour pour le cinéma, ils parsèment leur livre de citations de films de ou avec Clint Eastwood. Quant au titre de leur BD, il fait évidemment référence au mythique film "L’homme qui tua Liberty Valance" de John Ford. Un film dont l’une des répliques les plus célèbres est: "Si la légende est plus belle que la réalité, imprime la légende."


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matvano
8
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le 30 mai 2020

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