Imaginons que ce gentil western ne nous soit pas présenté comme une relecture de la célébrissime (et excellente) série Lucky Luke... En parlerions-nous autant ? Aurait-il droit à toutes ces critiques positives qui ont éclos un peu partout ? Se serait-il aussi bien vendu ? La réponse est évidemment non, tant "l'Homme qui Tua Lucky Luke" ne fait preuve que de bien modestes qualités : une ambiance sacrifiant à tous les stéréotypes (cinématographiques, surtout...) du genre, un scénario des plus conventionnels (certains ont même relevé des ressemblances lourdes avec le superbe "Blacktown" de Trondheim), des personnages pas vraiment passionnants, une conclusion assez désarmante de maladresse. Ce n'est finalement qu'à travers de son décalage par rapport à sa matrice (le Lucky Luke de Morris et Goscinny) qu'il est intéressant d'analyser le livre de Bonhomme : le léger pas de côté, effectué en direction de plus de réalisme, de plus de complexité, paye évidemment pour un lecteur adulte, mais il n'est finalement pas si évident que cela qu'on y gagne au change quand on considère l'abandon complet de l'humour, composante fondamentale des mécanismes parodiques si bien actionnés jadis par Goscinny. Le "fan service" - ou l'hommage direct, comme on veut - offert par Bonhomme est certes amusant, que ce soit le subtil travail sur les couleurs originales, très caractéristiques, de la BD de Morris, ou la perspective astucieuse que "l'Homme qui Tua Lucky Luke" nous propose quant à l'abandon de la cigarette par le Lonesome Cow-boy. Mais il ne rend que plus patent l'échec de Bonhomme à créer une vraie vision "méta" du héros qui tire plus vite que son ombre, comme l'avait réussi Emile Bravo avec Spirou : ce ne sont pas les quelques considérations déjà bien usées sur ce qu'est être une légende de l'Ouest ("l'Homme qui Tua Liberty Valance" date quand même de 1962 !) qui permettront au livre de marquer durablement nos mémoires surchargées. [Critique écrite en 2016]