« Encore un quoi, exactement ? Encore du gnagnagnagna je suis aigri donc je chie sur le travail des autres ? Encore ça ? Encore quoi, Josselin ? Encore un manga sur la Deuxième Guerre Mondiale du point de vue des Japonais ? Ça te dérange qu’on relate la souffrance d’un peuple ainsi rapporté pudiquement sur les pages ? Tu voudrais pas, une fois, UNE SEULE FOIS, mettre ta blasitude en sourdine ? »
Jamais.
Jamais, ou pas maintenant en tout cas. Il est vrai que, sans non plus saturer le marché, car ça ne constitue pas le gros de la production manga, les récits de guerre nippons me lassent. Les témoignages sont parfois d’une acuité rare et méritent amplement la lecture, c’est entendu ; d’autres moins, cependant. Mais s’il en est que je rechigne à parcourir, c’est encore de ceux-ci, où la pudeur d’un parcours s’efface au profit d’une fiction que je crains partiale et tapageuse. Des craintes qui évolueront en peines à mesure que ma lecture progressera.
L’amertume de ce qui vient n’en est que mieux exacerbée par le fait qu’il ait fallu que je lise ce manga avec un traducteur de portugais à portée, car n’ayant trouvé aucune source en anglais ou en français. Oubliez Japscan.
Le style de dessin, s’il est impeccable et doté d’ un caractère certain, n’est sans doute pas le plus idoine pour retranscrire avec méthode un récit supposément aussi sensible. Car là où les auteurs chargés de rapporter leur témoignage dans un manga, le faisaient avec mesure et pudeur, ce dont nous seront gratifiés ici s’avérera, en comparaison, être un déballage de très mauvais goût.
Il faut ainsi en revenir au dessin pour mieux déplorer qu’il soit attribué à ce récit. Les expressions, remarquablement travaillées, sont constamment criardes, faisant montre d’une expressivité excessive en tout occasion. Les Japonais ont le sens du burlesque, mais c’est pousser l’intempérance plus loin que nécessaire de tous les présenter ainsi. Du reste, chacun porte sur lui ce qu’il est ; une brute de militaire qui obéit pour la finalité de ce faire, des officiers supérieurs vicieux, des lâches… et un protagoniste beau et noble jusqu’à la moindre de ses postures.
Quand on sait que le contingentement japonais était fait d’hommes qui n’avaient, pour la plupart, jamais fait la guerre, ceux qu’on nous présente sont trop irréels pour évoquer l’homme de la rue. Ils sont soit trop candides soit trop peureux, j’avais l’impression, dans ce qui me venait, de relire le traitement odieux des personnages qu’était celui commis le temps de Rainbow. Quand j’en viens à établir de pareilles proximité, c’est que l’aspect « pudique » est définitivement évacué de ce que je lis.
Et qu’est-ce que je lis ? Encore une œuvre qui déplore l’obstination bornée et aveugle du commandement japonais qui envoyait ses hommes à la mort. C’est drôle, mais à se fier à ce genre de récit, j’en viendrais presque à croire que les Japonais ne sont entrés en guerre qu’en 1944 et 1945. Curieusement, on n’a trop rien sur ce qui concerne la période d’expansion et de conquête quelques temps auparavant.
Alors quoi ? On a des pudeurs à rapporter ses faits de guerre ? Un peu d’exaltation que diable, l’Empereur vous regarde.
Et c'est toujours comme ça.
Ces mangas me font l’effet des films Américains sur le Vietnam. On nous présente ces épisodes comme étant douloureux pour les hommes mobilisés ; le yankee pleure, car il a souffert. Et, le film terminé, on en oublie presque que, dans cette histoire… ils n’avaient rien à foutre au Vietnam pour commencer, si ce n’est mener une guerre coloniale qui ne s’assumait pas.
Alors de ces histoires, à nous dire que la piétaille japonaise a méchamment fait les frais de son commandement en fin de guerre, j’y souscris… mais j’aimerais qu’on me parle du reste ; de ce qui a précédé la chute. Deux bombes atomiques, des bombardements de civils qui n’en finissaient plus, le Japon n’a que trop subi, j’y souscris. Mais… sans vouloir me faire l’anti-colonialiste de bazar – que je suis au demeurant – … en Mandchourie… en Corée… dans tout ce qui borda de près ou de loin des mers de Chine jusqu’à l’Océan Indien…. des choses, il s’en sera passées, non ? Je ne veux pas qu’il se trouve un Japonais pour battre sa coulpe, je vomis toute forme de repentance et m’amuserai toujours de voir le pouvoir politique japonais envoyer chier la Corée et la Chine chaque fois qu’on exige d’eux des excuses. Mais se trouverait-il un auteur un jour assez courageux pour relater la période entière sans angélisme ou charger la mule plus que de rigueur ?
Pas cette fois, en tout cas.
Il y a les gentils et les méchants, les méchants sont les mieux placés, les gentils les subissent, pressurés entre le marteau hiérarchique et l’enclume américaine ; ils n’ont aucune chance de s’en sortir et pourtant, s’en sortiront. Avec, bien sûr son lot de morts excessivement dramatiques quand, en réalité, ce genre de théâtres ne laissait le temps du deuil à personne.
Les dessins font en tout cas le travail, et le bon. Les plans du sous-marin m’ont en tout cas conquis, et les dessins rapprochés de certains visages sont criants de réalismes. Mais les personnages, encore eux, sabotent le plaisir qu’on peut avoir à suivre l’opération. Ce n’est pas aussi forcé que je pourrais le laisser entendre, mais ça l’est bien assez pour qu’on ne voit que ça quand un vicieux d’officier, conforme à ce qui est attendu de lui, déborde de vice pour nuire aux siens.
L’aventure pourra plaire, cependant. Loin d’être caricatural, quoi qu’assez manichéen par instants, L’Île des Téméraire recèle d’un lot d’actions et de revers comme on peut en apprécier dans une histoire correctement ficelée quoi qu’un peu longuette à trop vite avoir abattu ses atouts. La stupeur laissera en effet place à la langueur tandis qu’on se lassera d’un récit peut-être trop long pour ce qu’il avait à nous communiquer.
Je ressors partagé de cette histoire qui, si elle n’est pas un témoignage en bonne et due forme, n’en demeure pas moins une fiction de guerre particulièrement prenante à ses débuts, jusqu’à avoir dévoilé tous ses attraits, pour se montrer finalement pompeux et grandiloquent. À ce que ce manga avait objectivement de bon j’y serai resté pour ma part hermétique, subodorant un contenu verbeux qui parlait pour ne rien dire, qu’on aurait greffé à une histoire d’action bien sentie qu’on souhaita présenter comme supérieure à ce qu’elle était.