C'est devenu pire qu'une sale habitude des héritiers, maisons d'édition et autres profiteurs avides de prolonger jusqu'à la nausée les juteux bénéfices d'une franchise populaire, c'est désormais à une véritable destruction en règle de notre patrimoine de la BD franco-belge à laquelle on assiste, impuissants, désemparés. Désemparés aussi parce que le grand public continue à porter la main au porte feuille à chaque sortie d'un "nouvel" album de ses héros préférés, sans sembler se rendre compte de la tragique descente aux enfers que traduit quasi systématiquement cet acharnement thérapeutique intéressé. "Lucky Luke", comme "Astérix", aurait dû mourir d'une chute de cheval lorsque Goscinny a passé l'arme à gauche, mais il a poursuivi son chemin de cowboy solitaire au fil d'aventures de plus en plus pâlichonnes et ennuyeuses. Morris disparu, rien n'arrête plus "Lucky Luke", otage désormais d'une bande de tristes arnaqueurs qui font feu de tout bois dans cette "Belle Province" navrante de démagogie et d'impuissance créative. Démagogie parce qu'on caresse ici l'esprit français anti-américain et anti-anglais dans le sens du poil, et parce que le recours à des références "modernes" de la culture québecoise (Céline Dion, Charlebois, etc.) est le genre de clin d’œil facile qui n'a rien à faire dans un album de Lucky Luke (c'est plutôt le domaine d'Astérix, me semble-t-il ?). Impuissance créative car cette histoire d'escroquerie, de collusion entre un banquier et des bandits de grands chemins, d'outlaw dissimulé sous les oripeaux d'un "butler", on a tout simplement l'impression de l'avoir déjà vu quinze fois dans "Lucky Luke". [Critique écrite en 2015]