Lucky Luke s'est définitivement égaré

C'est donc par cet album (nullissime) que débute l'après Morris...

Le choix du dessinateur se porte sur Achdé, déjà aperçu dans Le Cuisinier français, ceci relève plutôt d'un choix cohérent tant Hervé Darmenton de son vrai nom apporte sa patte graphique, à cheval entre la continuité et la nouveauté. Il le dit à répétition, il a grandi avec Lucky Luke, et connait son univers par cœur.

Le choix du scénariste lui se porte sur Laurent Gerra, humoriste/imitateur à succès grand public, absolument inconnu en tant que romancier ou scénariste de bande dessinée. Ce qui ressemble fort à un pari osé, s’avérera au fil des albums sous sa direction (4), un terrible échec.

Pour relever le défi de l'après Morris, le scénariste emmène donc Lucky Luke dans un road-trip dans une contrée encore inexploitée dans la saga : le Québec. Pourquoi pas après tout : tout un pan des albums de Lucky Luke ont pour trame principale un voyage à dos de cheval. Lucky Luke s'était d'ailleurs déjà rendu au Canada dès le 22ème tome avec Les Dalton dans le blizzard, une histoire originale et très drôle - Averell étant à son sommet dans cet album. Gerra fait ici le choix audacieux et respectable de ne pas utiliser les Dalton, usés jusqu'à la corde dans les décennies 80 et 90.

Le Québec donc...un terrain de jeu sympathique pouvant vite devenir un piège de facilités. Gerra ne va pas simplement tomber dedans les deux pieds joints, il va sans cesse repousser les limites des clins d’œil et références absolument incongrues.

Tout d'abord la raison du voyage : Lors d'un rodéo, Jolly Jumper tombe amoureux d'une jument nommée Province (oui oui...), à en devenir déprimé. Le propriétaire étant québecois, Lucky Luke accepte de l'amener "retrouver sa dulcinée" en passant pour la première fois cette frontière.

S'en suivra une histoire autour d'un riche méchant Mac Habann qui veut mettre la main sur toute une ville, et notamment le ranch de Mario Bombardier et de Province.

OK l'histoire est très mal amenée, assez peu lisible dans ses avancées, mais ce n'est pas le plus dérangeant.

Faisons la liste de ce qui ne va pas du tout :

- Tout d'abord, bon Dieu ce que c'est chargé. Du texte, du texte, des vignettes remplies comme des œufs, un dessin lui même dense...les auteurs ont voulu trop en faire et en dire. Le génie de Morris résidait dans une certaine forme d'épure et de minimalisme. Là, on dirait un Blake et Mortimer mais pour une histoire se voulant gorgée d'action et plutôt à destination des enfants. Ça ne fonctionne donc pas.

- Ensuite, les références à répétition concernant Céline Dion, son René, BHL, José Bové, l'accent Québecois, la poutine,...tout cela devient vite indigeste et insupportable. Pas une seule fois, la référence n'est drôle ou allez, ne soyons pas trop exigeant, subtile.

- Enfin, les personnages sont mal utilisés : Jolly qui tombe amoureux...même Lucky Luke n'y avait pas vraiment eu le droit dans La fiancée de Lucky Luke, album très mal nommé. Rantanplan est inutile. Les personnages secondaires ne sont pas charismatiques. Seul point plutôt positif : Lucky Luke est correct...et Gerra a tenté de nouveaux personnages, c'est à saluer.

Dans ce marasme, et pour toujours essayer de faire ressortir deux-trois choses positives :

- un suspens, sur la dernière case d'une pleine page, d'une piste que Rantanplan aurait flairé en planche 27, un peu comme dans les premiers albums d'Alix. Une surprise attend le lecteur une fois la page tournée.

- Un simili d'ambiance de fin de Scarface quand Lucky Luke assiège la demeure de MacHabann (planches 39 à 41). La dernière case de la planche 40 est d'ailleurs en point of view façon Goldeneye sur Nintendo 64, du point de vue du méchant, c'est sympa.

Mais cela ne relève en rien le niveau non seulement bas mais surtout à côté de cette Belle Province. Les lecteurs de l'après Morris se réveillent donc avec une très forte migraine...pourtant Gerra ne signe pas ici son pire album...Non, La Corde au Cou arrive juste après. Qui sonne comme une sentence pour Lucky Luke.