La question qui me vient le plus souvent en tête dans ma petite vie minable est la suivante : est-ce que je suis con ?

Et vu que la réponse me parait à chaque fois évidente (je précise qu'on frôle la réponse instantanée), l'autre question que je me pose l'instant d'après est celle-ci : à quel point ?

Enfin, vu que la réponse à cette deuxième question m'effraie quelque peu, vient au tour de la troisième et dernière question : est-ce que cela ne serait pas dû à autre chose ?

Vous l'aurez compris, comme tout le monde, je me pose des questions sur moi, je me dis que c'est quand même un peu anormal d'être aussi con et que cela est peut-être dû à quelque chose de bien précis (hypothétiquement être tombé plusieurs fois sur la tête quand j'étais petit, l'inhalation de substances pas vraiment saines pour le cerveau ou encore le syndrome d'asperger)… et c'est ce qui fait que La Différence invisible est venue, un jour, apparaître comme par magie devant moi (bon en vrai, c'est surtout Xeamin, ex-Gamekult, qui en a parlé un jour sur Twitter).


Première déception, la bédé dont il est question ici se concentre sur une femme présentant un syndrome d'Asperger. Cette déception ne vient pas du fait que je sois un incel à la con (fort heureusement, je n'ai pas cette tare en plus des autres, ce serait quand même bien triste), mais du fait que les personnes aspie du sexe opposé fonctionnent différemment de ceux du mien. Pendant un court moment, j'ai cru que le bouquin du jour était réservé aux femmes, ne me laissant que mes yeux pour pleurer et une corde pour me suicider (si tant est que j'aie le courage d'aller au bout cette fois-ci)… Fort heureusement, ce n'est pas trop le cas, car si le scénario de La Différence invisible se concentre sur Marguerite, une jeune femme de 27 ans, que la plupart des personnages intéressants présents dans le tome sont féminins, et que la préface, elle aussi, se concentre sur les femmes aspies, le livre possède un court dossier à la fin qui, pour le coup, s'adresse à tout le monde.

Première qualité du bouquin donc : on apprend pas mal de choses. Les informations données sont concises et pertinentes, et au pire, il y a pas mal de ressources recommandées à la fin du bouquin (témoignages, romans, films…), notamment le très bon Le Mur : la psychanalyse à l'épreuve de l'autisme de Sophie Robert, que j'ai revu pour l'occasion (3615 My Life). Bref, La Différence invisible a été conçue en partie dans l'optique de sensibiliser à l'autisme, et je n'ai rien à reprocher au livre de ce point de vue là. À la limite, je serais plus critique concernant le fait que l'Histoire de l'autisme ne soit pas traitée plus en profondeur (on nous parle de Hans Asperger, mais pas de ses bails chelous avec les nazis), mais ceci n'étant pas le sujet du livre non plus, ce n'est pas bien grave.


J'aurais cependant tendance à être plus critique au niveau du trait. N'y allons pas par quatre chemins : c'est « moche ». Certes, c'est dit de manière vulgos, mais ça résume plutôt bien le fond de ma pensée. À vrai dire, à cause de ça, j'ai cru que j'allais avoir affaire à une BD moralisatrice à deux balles du genre Les Crocodiles ou, pire encore, une BD d'Emma (bon en vrai concernant cette dernière, je n'ai lu que quelques planches et ça m'a amplement suffi). Heureusement, comme déjà révélé plus haut, ce n'est pas trop le cas, et mis à part quelques personnages qu'on aimerait pouvoir étrangler jusqu'à ce que mort s'ensuive (l'horrible passage chez la DRH), c'est davantage la France et son fétichisme pour la psychanalyse, son retard sur l'autisme, qui est critiquée. Autrement dit, le bouquin n'est pas en mode « ROOOH ! Les gens sont trop cons ! Ils ne connaissent vraiment rien à l'autisme ! Vraiment relou de devoir les éduquer ! Allez, prenez votre petite leçon de morale ! Ça fera 16 € ! ».

Pour revenir à l'aspect graphique, si je trouve le trait effectivement « moche », je dois avouer que malgré tout, ç'a tout de même son charme… et que j'ai même trouvé certaines cases plutôt audacieuses. Autant, je ne suis pas fan du trait de Mademoiselle Caroline, autant je trouve le choix des couleurs pertinent (/!\ Attention, je précise que je suis daltonien, donc si à partir de là, je me mets à dire de la merde (en tous cas plus que d'habitude) c'est normal /!\) : l'utilisation du gris pour marquer la routine, le bleu pour le confort, plus intéressante est l'application du rouge, marquant les nombreux bruits et autres sons qui gênent Marguerite, qui vient jusqu'à envahir la totalité des cases (en mode chambre noire) lorsqu'elle n'en peut plus. On retrouve d'ailleurs ce code couleur dans les dialogues, le rouge marquant, là encore, une certaine forme d'agression. Seul le jaune m'a paru moins bien exploité, marquant la gène par moment (forcément, je pense à la page 73), et parfois utilisé sans qu'on ne sache trop pourquoi. Sans trop de surprise, on retrouve des couleurs plus gaies, plus verdâtre en tout cas, une fois arrivé à la fin de l'histoire, marquant une certaine tranquillité, et surtout, un amour pour la vie de la part de Marguerite.


Un autre défaut m'est venu à l'esprit durant ma lecture de La Différence invisible : l'effet de validation subjective. En effet, de nombreuses cases m'ont fait penser à des moments de ma vie, comme, je suppose, ç'a dû être le cas pour beaucoup de monde : le fait d'être routinier, de détester le bruit des open space, de préférer manger seul plutôt que d'aller dans une cantine (l'angoisse), le coup des vêtements confortables en rentrant chez soi, de couper les étiquettes des vêtements, le fait de vouloir s'éclipser le plus rapidement possible des soirées, de ne pas vouloir y aller… bref, de quoi faire croire à l'introverti que je suis que je suis aussi autiste… alors que non, comme je le savais déjà depuis un moment, moi, je suis juste con, reste à voir quel sera le meilleur moyen de régler mon problème (peloton d'exécution, pentobarbital, les rails de la SNCF histoire d'emmerder le monde une dernière fois…).

L'écriture reste tout de même réussie. J'ai particulièrement apprécié le court passage chez Sylvie, la cousine de Marguerite, et ses remarques malaigénantes (oui, j'invente des mots) au possible : probablement le passage qui m'a le plus marqué, que ce soit pour son côté anxiogène qui surgit dès la première case, ou les propos qu'elle tient. Il y a aussi un twist très intéressant concernant la narration à la troisième personne (qui apporte de nombreuses petites informations au fur et à mesure du déroulement du récit) qui m'a immédiatement fait penser à celle du Seigneur des Anneaux ou de God of War 2… bien qu'il me semble qu'on s'éloigne un peu de La Différence invisible là (quoique Kratos me semble avoir un léger trouble du comportement par moment).


En somme, sans être une bande dessinée incontournable, j'aurais tout de même tendance à recommander La Différence invisible ne serait-ce que pour la pertinence des informations qu'elle transmet à travers ses moins de 200 pages et l'absence d'un côté moralisateur.

Et puis bon, ce n'est pas tous les jours qu'une bande dessinée traite de ce sujet.

MacCAM
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le 14 juin 2023

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