À un moment donné, et même à plusieurs. Pas comme cela se pratiquait chez Gantz ou Berserk, d'une manière... gratuite, parfois même immature. Non, ça baise comme si ça avait un propos ; celui de n'en avoir aucun. Une absence de propos toutefois formulée avec éloquence.
Et ce moment donné dure deux volumes. Cela, sans oublier le fatras de frasques affectives qui vont avec. Sans même parler des truismes inhérents à la chose de l'ordre d'un : «Le sexe sans l'amour est une illusion». Merci pour l'apophtegme, je m'en vais brûler de ce pas tout ce qu'Otto Weininger aura pu griffer ; il n'a simplement pas le niveau en comparaison pour rivaliser avec le répertoire des lieux communs éculés de ce siècle. Et, non, aucun jeu de mot avec «éculé» ne sera à l'ordre du jour et ce, en dépit de la thématique du manga concerné.


Il y a, chez La Fille de la Plage, un côté naturaliste forcé, ce qu'on ne retrouvait pas dans les autres œuvres d'Inio Asano. Exception faite de Solanin sans doute. Ici, des dialogues creux font écho à ce que l'on pourrait retrouver dans une vraie discussion d'adolescents. Quand, comme moi, on considère qu'un jeune n'a pas grand chose dire - je puis en attester pour avoir moi-même été jeune - que ceux-ci expriment de vive voix l'inanité dont ils sont fait ne donne pas particulièrement envie de leur prêter une oreille attentive.


La Fille de la Plage se pique d'un propos qu'il ne définit pas. Non pas par maladresse mais à dessein. Car de propos, finalement, il n'y en a pas. La bagatelle est ici une entreprise de mystification poussive cherchant à masquer le rien avec le peu. Et ce peu, ici, n'est pas à la hauteur des enjeux qui - rappelons-le même si cela implique de se répéter lourdement - sont tout bonnement absents.
D'avance, qu'on s'abstienne de nous parler du mal-être d'une jeunesse en désuétude dont l'auteur aurait capté la souffrance muette. Car celle-ci n'est muette que parce qu'elle n'a rien à dire. Lorsque j'évoquais le naturalisme, j'admettais par ce biais, au moins implicitement, qu'il y avait dans La Fille de la Plage, une part de réel. Une part tangible et omniprésente qui tapisse jusqu'à chaque mur de chaque scène.
La complainte - car c'en est une - s'adresse ici à l'intention de la pertinence de la focale portée par ledit registre naturaliste. À quoi bon dépeindre avec acuité ce qui ne vaut même pas la peine d'être rapporté ?


On retrouve dans La Fille de la Plage la gratuité d'un voyeurisme qui peut s'assumer auprès du public au prétexte que celui-ci pourrait se targuer d'une quelconque pertinence. Quelle pertinence au juste ? Cela, l'œuvre, au mieux, le mime en surface. Et d'une gestuelle tremblante seulement. Derrière La Fille de la Plage, il y avait une idée. Or, être un excellent mangaka avec une idée n'implique pas nécessairement que cette dernière s'accorde au diapason du génie de son démiurge.
La Fille de la Plage n'est même pas un coup pour rien, c'est un coup de grâce porté à la crédibilité d'un auteur dont j'avais pu croire qu'il avait une certaine hauteur de vue. À une époque sans doute. Il est des Hommes qui sont les auteurs d'un succès et d'un succès seulement. L'aura qui les enrobe n'est pas tant la leur que celle d'une création qui les aura dépassés au point de se confondre avec eux.


Le deuxième chapitre de Coq de Combat rapportait cette citation du narrateur : «L'humain est un être sexuellement primaire». Primaire, le mot est juste alors que je lis La Fille de la plage. Que ce soient les personnages - correctement construits au demeurant - ou bien la thématique... rien ne me donne envie de lire. C'est chiant comme un film d'auteur français. Peut-être moins onaniste dans le principe ; je ne me risquerai pas à émettre une quelconque supputation quant à la vie et les fantasmes de monsieur Asano, mais on se sera ici appliqué à bâtir ce qui était voué à s'effondrer. Lire La Fille de la Plage m'aura, à chaque page, amené à me demander «À quoi bon ?». À quoi bon amener sur ce plan existentiel ce qui ne mérite justement pas d'exister ?


Le préambule, alors que je ne suis pas encore entré dans les détails d'une œuvre parfois trop détaillée pour son bien (et pour le nôtre), est encore vaporeux. Je tourne en rond pour ne pas en venir à l'essentiel. Mais l'essentiel, c'est encore ce qui se rapporte à l'essence même d'une entité. Et de l'essence de La Fille de Plage, on en retire davantage des relents que des fragrances.


Le côté dramatique, par-dessus lequel on ajoutera du combustible avec l'inénarrable trame du frère suicidé, a beau avoir été dilué dans un récit rondement mené - c'est d'Inio Asano dont on parle après tout - je ne le distingue en rien de la mièvrerie maladroite d'une œuvre moins bien construite encore qui, elle aussi, m'aura jadis autant terni les yeux que l'âme.


Finalement, Sato aura été l'absolue figure paroxystique de la Tsundere d'un genre nouveau. Pas d'un genre que j'aime. Le «B...b...baka» n'y est pas, bien que l'envie de lui en coller un demeure néanmoins. Le personnage est subtil car il est insaisissable, mais il n'est insaisissable que parce qu'on ne souhaite pas s'en emparer. Oui, les personnages sont, envers et contre tout, très bien écrits. Mais pourquoi tant de travail d'écriture pour finalement ne les destiner qu'à un sort scénaristique si pauvre ? C'est rien moins qu'une vache sacrée qu'on envoie ici à l'abattoir pour ne pas même en récolter les os.


Mais entrons dans le vif du sujet après avoir tourné en rond pour mieux l'esquiver. Je vous parle d**'une œuvre dony le principal rebondissement consistera à vous faire vous demander pourquoi Isobe s'est inséré un gode dans le cul avant de boire son propre sperme**.
N'oubliez pas que le mot du jour est «primaire». Pas «primordial», encore moins «primé» ; non, «primaire». Très, primaire. Mais cela, dans une atmosphère délicate, où se mêle(rait) psychologie de haut vol (au-dessus d'un nid de cocus) entre autres perspectives ardues. Poil au nez.
Que l'œuvre pète plus haut que son cul, c'est acté ; mais pourquoi faut-il justement qu'elle nous pète à la gueule comme si ce qui en émanait ne pouvait que nous charmer les sinus ? Le parfum qui émane de l'œuvre est peut-être subtil, mais on le retiendra pour son caractère pestilentiel.


Ce que je ne pardonne pas ne tient pas à la pauvreté de la thématique - dont on a très vite fait le tour si ce n'est la tournante - mais le sérieux qu'affectera de prendre l'auteur à relater cette niaiserie abandonnée à son stade d'élaboration anal. La Fille de la plage est la chronique d'une psychothérapie par la baise. Ou une psychothérapie tout court, car on se fait toujours baiser en fin de séance au moment d'aligner les billets. Mais des billets, je n'en aurais pas sorti un seul pour m'acheter cette foutaise mâtinée d'un sérieux de pitre dans ce qui se voudrait «une histoire d'amour complexe d'un genre nouveau».


L'émotion n'est jamais très intense et ne tombe jamais vraiment à propos. L'histoire du blog du frère décédé m'aura paru le tire-larme indigne d'un auteur qui aura pourtant su prouver qu'il n'en avait pas besoin pour bousculer son lecteur du temps du lointain et très regretté Bonne Nuit Punpun.


Et finalement tout va bien. Le type qu'elle aimait et qui était un connard prétentieux depuis le début lui sera finalement apparu comme un connard prétentieux plus tard - excusez la lenteur, ce n'est qu'une lycéenne japonaise - et finalement découvre que le garçon avec lequel elle aura couché durant des mois était celui qu'elle aime. Comme dirait Jamel Debouzze : les bras m'en tombent. Ce qui me sera tombé des mains tout autant, c'est La Fille de la plage.


Je me risque à éventer l'intrigue éminemment consistante que vous serez amenés à digérer, mais le festival du chapitre quatorze est un tournant dans l'intrigue. Il est question de trous du cul malmenés - pluriel, oui - et de coprophagie post-coïtale.
«Primaire», vous vous souvenez. Peut-être primitif si on y réfléchit. Mais après avoir lu ce genre de chef d'œuvre «Nouvelle cuisine», on n'a pas trop envie d'y réfléchir. Il faut dire que ça manque cruellement de matière à réflexion.


Et on se retrouve avec une fin sans conclusion, parce que c'est la marque des grands auteurs paraît-il. Je me serai bien assez tôt détaché de ma lecture pour ne pas m'y être attaché un seul instant. Ma rupture, contrairement à celle des personnages, se sera amorcée sans regret. S'il y avait eu des larmes dans mes yeux à cet instant, ç'auraient été des larmes de joie.
Parce que le recul me permet de dire avec assurance et consternation que toutes les scènes de cul relativement graphiques ici présentées n'avaient aucun intérêt une fois rapportées au propos de l'œuvre. Et ça, c'est beau. Beau comme un trois sur dix.
Je commence à penser que Bonne Nuit Punpun était une étoile filante dans le paysage artistique d'Inio Asano. Mais alors... vraiment.

Josselin-B
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le 1 juil. 2021

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Josselin Bigaut

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